top of page

18 mai 2019 

 

Rêve au cours duquel je suis arrêté à mon atelier par deux policiers. Il n’y est pour rien, dit ma mère apparaissant dans la pièce et me désignant aux deux policiers d’un geste du bras sur mon épaule. Mais je suis gentiment invité à les suivre (ma mère aussi). Ils changent d’attitude, ensuite, dehors, sur le trottoir, nous font entourer d’autres policiers, nous séparent elle et moi. Quelqu’un me fouille. Monte-là, toi, me dit sèchement le jeune qui avait été aimable juste avant là-haut à l’atelier. Il me pousse sans ménagement sur la banquette arrière d’une voiture où se tient déjà quelqu’un, au volant, une femme. Bonjour, lui dis-je, par réflexe (elle me répond), et dans ce réflexe, qui me surprend moi-même, j’entrevois pendant une fraction de seconde ma vie de peintre là-haut, ces décennies de peinture dont le destin est scellé tout à coup, là, à l’intérieur de cette voiture, dont le résultat désolant, en somme, me saute aux yeux. [Suite incertaine]... Un lieu où ma mère et moi nous retrouvons. L’atmosphère de ces retrouvailles, pour autant, dans ce bureau, ne prête pas à la moindre équivoque, car nous y sommes rassemblés assez nombreux, un juge (petit, affable), nous deux, nos deux avocats, la greffière, et un policier devant la porte. Nous pouvons espérer un verre d’eau si nous demandons à boire, et la greffière va le chercher quelque part dans l’établissement, une eau du robinet de couleur marron... 

6 mars 2019 

 

"Les Noces de Cana". Un festin nuptial où tous sont vêtus comme au seizième siècle, rassemblés dans un décor vénitien ("palazzo"), rassemblés autour d'un Christ impénétrable et comme absent de cette joie fastueuse, de cette démonstration d'élégance. Véronèse aurait paraît-il voulu montrer la compromission de l'Eglise avec le siècle, et par là donner raison aux protestants. Véronèse aurait puisé son inspiration dans la pensée de Calvin. Soit. Bon, je suis un calviniste un peu "défroqué", personnellement... mais s'il est vrai que nous les protestants avons suscité une telle force plastique, je dois peut-être revoir ma position. Quoique. 

8 janvier 2019 

 

Idée pour un tableau : au premier plan un jeune garçon dissimule une charge explosive dans une casserole remplie de blanquette de veau, tandis que derrière lui on devine la scène d'un théâtre où se déroule la représentation d'une pièce au cours de laquelle un homme déguisé en dervish tourneur est précipité sur une étale de fromager (je ne devrais pas noter mes idées, elles n'aboutissent jamais). 

Un matin de la semaine dernière, j'allais entrer au Franprix, quand brusquement j'avais en face de moi, au milieu du trottoir, parmi les piétons qui encombrent souvent l'entrée du magasin, un homme d'une quarantaine d'années qui distribuait des tracts politiques d'un bord qui ne m'intéresse pas. J'ai ralenti parce qu'il me tendait à moi aussi ce tract. Mais au dernier moment je lui ai dit non merci je ne fume pas. Demain jeudi, m'a-t-il alors rétorqué aussi sec, vous volerez une robe de chambre, vous ! Absorbé dans mes pensées, j'ai cru à un genre de dicton, à quelque formule ironique de remerciement. J'ai continué à faire ce que j'avais à faire. Je suis ensuite rentré chez moi, pensant à l'assez jolie fantaisie de cette repartie, demain jeudi vous volerez une robe de chambre, vous ! que je pouvais volontiers m'approprier, c'était mon style, et finissant par estimer plus ou moins confusément sa nature divinatoire. Mais le lendemain je n'ai volé aucune robe de chambre. 

 

22 septembre 2018 

 

Des chercheurs viennent de découvrir un texte inédit de Claude Lévi-Strauss, où l’on découvre une étude argumentée et définitive sur les différences entre l'idée de manteau et celle de veston, étude qui avait été opérée par de nombreux travaux en sciences vestimentaires depuis le début du vingtième siècle. Cette étude lie les deux figures du manteau et du veston comme deux figures non-poilantes partageant une même signification : le non-poilant par opposition au poilant. Mais Claude Lévi-Strauss ajoute une troisième figure : celle de la mansuétude. En décrivant le manteau et le veston comme des notions étrangères à la mansuétude, c'est-à-dire hantées par cette altérité qui les déborde, il éclaire la fascination qu’exercent ces figures non-poilantes en les plaçant dans une position extérieure à l'idée même de non- poilade ou de poilade, d’où elles viennent la défier et l’inquiéter. L’alliance de ces trois figures marque, selon Claude Lévi-Strauss, l’entrée dans le domaine du savoir de trois processus historiques constitutifs de la modernité et de sa rationalité à travers l’exclusion inclusive de figures qui définissent son autre nécessaire : le goudron.

 

13 juillet 2018 

 

Rêve : Je suis dans le noir, sur le palier d'un étage. Je cherche une porte, que je finis par distinguer en dépit de l'obscurité. Une porte sombre, de couleur verte. Elle se découpe imperceptiblement à proximité de la ferronnerie d'une cage d'ascenseur, dont la cabine attend là, à l'étage. J'y devine une silhouette qui m'observe, immobile, silencieuse : Johannes Vermeer. Je m'apprête à lui ouvrir la porte de l'ascenseur lorsque une personne se présente derrière moi, m'éloigne brusquement de la cabine et me dit: "Ne vous mêlez pas de ces histoires." La cabine quitte alors le palier pour s'élever dans les étages. Me penchant, je l'aperçois qui disparaît vers une zone très éclairée, d'où me proviennent de faibles échos. 

 

29 juin 2018

 

A propos de ma peinture les anglais parlent de reminiscence of Edward Hopper (je préfère outcrop, Hopper est un affleurement rocheux sur mon bras droit), et d’un curious cerebral undercurrent, faisant là sans le savoir allusion à ma tendance à rejeter les sujet tournant autour du cricket, secrète phobie dont je me suis depuis longtemps expliqué auprès du docteur B. (adolescence traumatisée par un séjour linguistique dans le Sussex). Oui, la galerie de Londres qui exposait ma peinture avait confusément perçu quelque chose, mais elle ignorait la teneur exacte de ce courant sous-jacent lié à mon adolescence (jamais donc de terrain de cricket dans ma peinture), et j’entends garder le mystère, laisser libre cours à l’imagination : une hantise chez Frémond d’être enfermé dans une crêpe au sucre ? (jamais non plus de crêpe dans ma peinture).

 

18 mai 2018

 

Variante d'un rêve récurrent. Je suis dans un marché aux puces. Je viens d’acheter la partition originale de la Passion selon saint Matthieu, mais dédicacée par Jean-Paul Sartre, « ce qui fait sa rareté » me dit le vendeur. J'achète également un vieux short en lin ayant cette fois appartenu à Jean-Paul Sartre. Un homme s’approche alors de moi, se présente en qualité de « directeur de l’Institut Sartre», me remercie de ma générosité et m'arrache la partition. Je le regarde s’éloigner. Une grande tristesse s’empare de moi. L’homme revient et veut emporter également le vieux short. Je vais pour lui reprendre la partition mais il prétend alors être Jean-Paul Sartre, ce qui me saisit de surprise. Et je me réveille.

 

2 mars 2018

 

Je suis au volant d’une voiture américaine des années soixante, dont on me dit qu’elle mesure environ douze mètres de longueur et cinq de largeur. A mes côtés, un homme que, dans ce rêve, je connais depuis ma jeunesse bien qu’il semble n'être âgé que d’une vingtaine d’années. Il me dit qu’il a publié une dizaine de livres sur le « thème du pneu et de l’énorme ». Il me conseille de rouler lentement. J’ébranle cette berline de paraît-il onze tonnes, à la mollesse traîtresse et au freinage hélas assez traître également, holà, en effet, attention, hé ho. L’homme m’ordonne de m’arrêter là tout de suite sur le bas-côté. C’est dingue ça, me dit-il, non mais tu as vu où tu roules ? (au milieu de la chaussée, oui, avec une tendance à gauche, pourquoi, c’est défendu ?). Il reprend le volant, nerveux, m’abreuvant d’assertions délibérément blessantes faisant état de mon incapacité à traiter moi aussi du pneu et de l’énorme, ce qui me laisse tout à fait indifférent. Et lorsqu’intentionnellement j’ouvre ma portière en marche, celle-ci heurte avec violence un obstacle disposé sur le bord de la route, provoquant un orage et des éclairs à la place du conducteur, phénomène atmosphérique que j’observe comme depuis l’espace, complètement protégé de ce danger.

 

9 février 2018

Gustav Klimt se tient au fond d’une grande salle de restaurant et souhaite me montrer une chose, mais je ne parviens pas à le rejoindre [... ]. Je le suis finalement jusqu’au fond d’une autre salle aux murs nus, sans néanmoins pouvoir l’approcher. J’avais dix-neuf ans, déclare-t-il, désignant au loin (comme au fond d’un paysage) ce qu'il appelle un autoportrait enfant, que je distingue mentalement, les yeux fermés, une œuvre peinte à la gouache, d'une grande maladresse, composée de couleurs hideuses. Pour donner le change je souris, l’air connaisseur, apprécie le rendu de la peau, des ombres, des reflets, de l’aspect soyeux des cheveux.

 

1er décembre 2017

 

Quel était donc ce rêve de la nuit dernière, si particulier? Je tentais d'en rassembler les morceaux, ce matin, marchant dans le Bois. Je finissais par m'asseoir sur un banc. Et j'attardais mon regard sur la surface sombre de l'étang, sur le sillage d'un canard, qui accrochait la lumière blanche du ciel et vibrionnait lentement en s'évasant, notais que ce sillage ressemblait à celui d'un bateau traversant un lac de montagne, que j'aurais observé depuis une hauteur. C'est alors que j'avisai les bribes de ce rêve, rêve a priori dépourvu de rapport avec l'instant présent, rêve au cours duquel une personne m'enfermait dans un panier à linge sale. Comme je marchais plus tard dans les sous-bois, j'essayais de comprendre pourquoi j'avais associé ce rêve et le sillage de ce canard, d'établir un lien entre le panier à linge sale et l'animal. Je me rappelais ceci : je n'étais pas seul dans ce panier à linge sale, mais en compagnie d'un garçon de mon âge, inconnu, et vêtu d'un blazer à carreaux (le détail obscurcissait encore les choses). 

 

6 novembre 2017 

 

Rêve de cette nuit. J’apporte à un homme une feuille blanche sur laquelle j’ai écrit le mot idéal, feuille qu’il examine avec beaucoup d'attention, en silence... Puis il dit que c'est intéressant, que par ailleurs il voit là autre chose qu’un mot, peut-être une forme située aux confins de la pensée... Je ne vois pas ce qu'il veut dire mais je réponds que merci ça me touche beaucoup, que je cherche à échapper à mes attitudes compulsives en matière de mots, que l'idée du mot idéal me plait, qu'ainsi je romps un peu avec mon "fond"... que j'ai peut-être trouvé un moyen de formuler différemment ma pensée, enfin que ce mot me plait, que c'est évident... "Oui, poursuit-il, c'est évident..." Et il me dit que ma peinture tourne autour de ce mot, que je ne dois pas me résigner à "abandonner" ce mot, que l’abandon de l’idéal est un concept bourgeois, que la résignation est bourgeoise... Il tend la main droite au-dessus de son bureau, comme pour me dire au revoir. Je la lui serre. Et nous demeurons un long moment silencieux. Alors, me dévisageant, il finit par murmurer, solennellement, comme s’il prononçait une parole divinatoire : "Vous ne vous résignerez jamais en amour". Et je quitte les lieux (une pinède) sur un grand tapis qui se soulève.

 

Octobre 2017

 

En 828, afin de rivaliser avec Rome et son saint patron Saint Pierre, le doge de Venise cherche un nouveau protecteur pour sa république en remplacement de Saint Théodore dont certaines rumeurs faisaient état des aspirations trotskistes. Qui choisir? L'évangéliste Saint-Marc?... ah oui tiens bonne idée, oui, il était venu évangéliser la région au 1er siècle. Deux marchands vénitiens se chargent donc d'aller voler les reliques sacrées de cet évangéliste dans une chapelle du petit port de pêche de Bucoles proche d'Alexandrie en Égypte, où il avait souffert le martyre (l'aspirine n'existait pas). La basilique Saint-Marc est alors spécialement construite pour abriter ces reliques auxquelles l'église catholique prêtait à l'époque des pouvoirs divins (les gens tout de même). Marc devient ainsi le puissant Saint Patron de Venise, avec son lion comme symbole. Voilà. Mais bon, quand on visite on trouve ça tout de même très encombré d'Orient, on a rien contre, c'est superbe, on reconnaît néanmoins que Proust a raison, c'est encombré... Notre-Dame de Paris est plutôt moins encombrée, non?... si si, ah si!

 

19 juin 2017

 

J'étais dans le noir, je cherchais une porte, que je finissais par distinguer malgré l'obscurité, une porte verte, un vert sombre. Elle se découpait tout près de la ferronnerie d'une cage d'ascenseur. L'appareil attendait là. Je devinais quelqu'un à l'intérieur, qui m'observait, immobile, en silence. Une femme en qui il me semblait reconnaître ma mère... une mère. Une femme coincée dans l'ascenseur à cause d’une panne. Je me suis réveillé avec un sentiment de culpabilité dû à la pitié que cette pauvre femme censée être ma mère m'inspirait. Je ne pouvais rien pour elle. Mon sentiment dans ce rêve : Je voulais une autre mère, de qui personne ne s'approcherait, que j’aurais pour moi seul, une mère des bois, mon cerveau se développerait au grand air, comme les arbres, tourné vers la lumière du soleil, elle me traînerait partout avec elle, creuserait des niches avec ses mains, une mère destinée à ma purification, que je retrouverais le soir à l'écart dans la nature, qui m’attendrait, noierait mon être dans le sien, alors je ne serais plus moi, mais une certaine conscience que D.H. Lawrence appelle la blood-consciousness, la conscience du sang, seulement vertébrée... Elle serait ma mère, venue du fin fond des âges, non pas une mère que le temps aurait inventée par hasard, mais qu'il aurait transportée jusqu'à ce point. La plus pure essence de ma mère... Bien bien. Mais selon le docteur B. ce rêve ne parle pas d’elle, ou d'une quelconque mère, il parle de moi, c'est moi qui suis dans l'ascenseur, coincé entre quatre parois, et toujours selon lui c’est encore probablement un écho de l’incident de la semaine dernière entre Miromesnil et Saint-Augustin quand la rame bondée est restée à l’arrêt dans le tunnel pendant quarante minutes et que la fille collée à moi écoutait David Guetta au casque en se trémoussant. 

 

10 mai 2017 

 

Ecrire sur le ridicule de l’ocre rouge n’est pas le meilleur moyen d’inspirer les éditeurs. Je crois que toute ma vie j’aurai l’ambition de ce livre, que je n’écrirai jamais - je peux le dire maintenant. Cinq volumes, ou trente-deux volumes, allez, sur le ridicule de l’ocre rouge, oui, pourquoi ne pas fantasmer cette idée à l’infini, comme tous les bruns madère et autres verts réséda, les couleurs ridicules que je bannirai pour l'éternité, les violets minéral et gris de Payne, mon dieu. Est-ce que nous faisons tous, nous les peintres, une sorte de bilan de nos palettes ? Et que devrais-je dire de ce rouge Hélios et de cette laque géranium, aïe aïe aïe, maintenant que j’ai appris la seule chose qui vaille : ce vieux polo qui passe, je sens qu’il passe, s’élime, je le sens au niveau des coudes qui laissent voir la peau en silence, sans rien dire, et j’ai presque l’impression de voir l’enfance tout près de moi, comme un ami que je retrouve par hasard.

 

4 avril 2017

 

Idée de titre pour un tableau : Léon Tolstoï brutalisé par des majorettes dans une petite gare de Sibérie, titre maintes fois envisagé, jamais utilisé, à cause de sujets généralement trop éloignés de l'idée, comme une scène de terrasse dans le Midi ou un intérieur de brasserie à Montparnasse. Manteaux et Jardins, mon autre idée récurrente, pourrait en revanche convenir à tout type de sujet, mais le mot manteau me pose un problème sonore, l’ayant je pense trop souvent prononcé à une époque de ma vie. Il reste bien sûr J’ai rudement envie de faire un tour d’auto-tamponneuse, hélas ma peinture ne représente jamais de personnage féminin. Il me faut donc être philosophe, me contenter pour l’instant de titres moins exigeants tels que Faut se le faire, ou Edgar Poe under a bridge table. 

 

6 janvier 2017 

 

Cette nuit, j'ai rêvé de la mer, une mer calme, au bord. Le vent souffle des collines situées derrière moi. Le chuchotis à peine perceptible des vagues a quelque chose de rassurant, comme le bruit régulier de la rue ou le paysage qui s'assombrit lentement. La mer est d'un bleu profond, maintenant. Au large, elle moutonne. Elle me donne une sensation de fraîcheur. Cela me rappelle mes étés sur la presqu’île de Giens, les jours de mistral. Ce vent-là, d’ici (le lieu n'est pas identifié), venu des collines, a sur la mer et sur moi des effets semblables à ceux qui m'ont été familiers.

 

1er décembre 2016

 

De mon vieux carnet de notes : "Rêve au cours duquel j’enfile un manteau, puis un autre, et encore un autre... quatorze manteaux en tout." Je suis content d'avoir retrouvé cette note, qui comporte une similitude avec un rêve tout récent que je n'ai pas noté et dont il me reste ce fragment : ma mère m’offre pour Noël un short ayant appartenu à Franz Kafka, que j'enfile, puis un autre que j'enfile également... quatorze shorts. Bizarrement ma peinture ne fait jamais écho à ces rêves, tant mieux d’une certaine façon. Le short est d'ailleurs assez peu présent dans la peinture occidentale.

 

12 septembre 2016

 

Maurice Ravel a composé les cinq pièces de Miroirs après être passé en 1905 au rayon salles de bain du magasin Bricorama de Boulogne-Billancourt. Dans son Esquisse autobiographique, il écrit en 1928 : « Miroirs est un recueil de pièces pour le piano marquant dans mon évolution un changement considérable qui a décontenancé les gens habitués jusqu'alors à me voir fréquenter le BHV [...] Le style de Miroirs a autorisé mes critiques à compter ce recueil parmi les ouvrages qui participent du mouvement dit impressionniste. Je n'y contredis point, si l'on entend parler par analogie. Analogie assez fugitive d'ailleurs, puisque l'impressionnisme ne semble avoir aucun lien avec le magasin Bricorama. Ce mot de miroir, en tout état de cause, ne doit pas laisser supposer chez moi la volonté d'affirmer une théorie subjectiviste sur la salle de bain.»

 

4 mai 2016

 

Au début de ce rêve, j’éprouve un inexplicable sentiment de culpabilité. Je m’approche d’une baie vitrée. Cette baie est là, je la touche. A l’instant même où mes mains l’effleurent, elle se brise. Alors je sens l’air extérieur, j’entends le léger bruit de la ville, je vois une avenue à demi ombragée, en bas. Un homme est à mes côtés, petit, qui ressemble trait pour trait à Maurice Ravel. Il est calme, parle abondamment sur un ton monocorde. De ce propos je retiens confusément que selon lui j’ai brisé cette vitre pour donner une raison à ma culpabilité, que je ne dois en revanche pas m’inquiéter car il s’agit d’une culpabilité bénigne. Je pense que cette culpabilité est bénigne, donc, et que ce diagnostique aurait par ailleurs été inacceptable formulé par toutes autres personnes que Maurice Ravel.

 

30 mars 2016

Je n'aime pas ce type de peinture, je m'en excuse auprès de ses nombreux admirateurs à travers le monde. L'exhaustivité de ces images est grotesque, et bêta tout ce sens qui suinte : non, messieurs ces artistes, nous ne vous prenons pas pour des imbéciles, nous avons compris que vous comprenez le monde, bravo. Vous êtes d'une grande intelligence. Vous êtes probablement les artistes au monde qui avez le mieux compris les hommes, personne n'en doute, vous avez lu Shakespeare, écouté Stravinski, aimé Warhol et Hockney, détesté les méchants dictateurs, etc... Chapeau! Tout cela pour nous en faire ensuite un résumé, c'est un peu du gâchis, non? 

 

18 mars 2016

 

Rêve : Je suis à bord du paquebot United States qui, comme dans la réalité, est à l'abandon dans le port de Philadelphie. Tout est délabré. Mais on m'a dit qu'il y avait encore un commandant de bord, et qu'il s'agissait de Duke Ellington. Au début du rêve, je suis dans ce qui était à l'époque la grande salle à manger des premières classes. Je pense à Duke Ellington. Je le sens très éloigné de moi, sur un autre pont, ou même dans la ville de Philadelphie, peut-être en train de jouer dans un théâtre. Je le cherche en direction d'une coursive rouillée, là-bas, au bout de la grande salle. Je suis en larmes. Ce qui me bouleverse, c'est d'avoir vu souvent ce navire à l'époque de sa splendeur dans le port du Havre, sans être jamais monté à bord. Maintenant que je suis là, tout est fini, délabré, rouillé. Il y a une odeur de cuisine, de pâtisserie, comme si la vie allait reprendre sur ce paquebot mythique [suite incertaine...] Duke Ellington est là, accompagné d'un contrebassiste et d'un batteur. Il est assis devant un piano droit hors d'usage et tente de sortir des sons, en vain. Quand il se tourne vers moi, son visage exprime la déception de ne pouvoir me réconforter. Il s'empare alors de la contrebasse et interprète Mood Indigo sur la corde de mi, la plus basse... Quand je me réveille, je suis encore tremblant d'émotion. 

 

9 janvier 2016 

 

Rue Vieille-du-Temple, une grande galerie très lumineuse. Je m’arrête un instant devant chaque tableau, des travaux à l’huile d’un abord disons difficile, dont les titres se composent d’un mot, Emergence par exemple, plusieurs tableaux pouvant porter le même titre, suivi alors d’un chiffre, ainsi Arche I, II, III, etc..., jusqu’à XII. Ombre IV présente un fond uni au beau milieu duquel l’artiste a sommairement peint, en noir, une minuscule silhouette humaine. Ce fond, je m’en aperçois après un moment, est constitué de zones d’aspects changeants selon l’emplacement du regard (brillantes, mates), et je m’amuse à me déplacer devant le tableau, à chercher parmi les reflets les dessins habilement dissimulés par l’artiste, dont aucun, hélas, en dépit de ma bonne volonté, ne m’évoque la moindre forme reconnaissable. Il y a juste cette petite silhouette humaine énervante, à laquelle incombe une trop lourde tâche. Un homme s'approche de moi, en outre, l'air sérieux : Je peux vous renseigner ? (Les gens tout de même.) 

 

22 novembre 2015 

Dans ce rêve, je longe la rue Mazarine en compagnie de Gertrude Stein. Elle dit "pouet". Je lui propose de passer chez moi. Trop de fatigue, non, elle veut rentrer chez elle. Nous hélons un taxi boulevard Saint-Germain, pour nous y presser l'un contre l'autre (c'est Alice Toklas qui est au volant). Nous répétons "pouet" ensemble. Il est tard, nous glissons sur des artères désertes, dans un véhicule où entre si peu de bruit que nous conversons à voix basse et nous taisons aux feux rouges. Comme nous passons entre le jardin du Luxembourg et les façades du lycée Montaigne elle dit qu'une attirance confuse guide aussi ses pensées vers le mot "ébouriffé". Je regarde défiler les grilles, au travers desquelles on devine de sombres endroits. Elle dit "bounty", elle bouge un peu contre moi et elle ajoute "errol garner", je passe mes mains sur les manches de son blouson, son visage exhale une image d'Espagne fiévreuse et monastique, elle apparait d'une beauté presque divine, le sentiment vous entoure qu'on ne peut accéder à elle que fortuitement. Quand le taxi s'arrête rue Delambre elle déclare que pouet, je réponds que pouet aussi, elle sourit tendrement puis elle me tend un livre et je dois sortir, elle ouvre sa vitre, me demande de dire encore un truc, je dis "larmor", elle ajoute "bouh"... Quand les feux arrière du taxi s'évanouissent dans la rue d'Odessa je reste assis un moment sur les marches du hall, un long moment. Il me semble que je dois ressentir quelque chose, mais quoi ? peut-être un événement va-t-il se produire, non, mes pensées sont calmes. 

 

12 septembre 2015 

 

Le pavillon surplombe la ville et l'estuaire, il est entouré d'un grand jardin planté de pins maritimes centenaires. Il a été construit dans les années soixante en bas de ce qui était un jardin plus grand, un parc. Le parc d'une maison de maître où j'ai passé mon enfance et qui est aujourd'hui divisée en appartements. Les baies vitrées de ce pavillon ouvrent sur le ciel, la mer et la ville. L'estuaire aveuglant est constellé de petites taches grises. J'observe le panorama à la recherche du nuage et de l'ombre correspondante. Un nuage approche sur le port, sur la ville. L'ombre nous enfouit comme un grand drap. Puis nous sommes entre deux ombres. Une autre, plus profonde, suit au loin sur l'estuaire. Elle nous happe. On en perd les limites, elle embrasse à la fois Honfleur, Deauville, le large. La mer est d'un vert sombre. Je me ramasse un peu sur moi-même. Je regarde le lointain. 

 

24 juillet 2015 

 

Simone de Beauvoir est tournée vers l'intérieur de la pièce, moi vers l'extérieur. Je l'observe à son insu (elle m'arrive en dessous du menton). Elle se retourne vers l'extérieur. Nous parlons à voix basse (entre autres de vêtements, de ses vêtements à elle, elle n'aime pas le rouge), nous attardons contre cette fenêtre, l'un près de l'autre, un moment encore... [suite incertaine et reprise du rêve après réveil.] Comme nous longeons en silence le couloir d'un appartement vers la porte de sortie, dont les deux battants de couleur sombre se découpent au fond, je m'immobilise devant l'un des tableaux accrochés là, une aquarelle, encadrée sous verre (une série de taches sur un papier à gros grain), à l'étrangeté de laquelle, dans un élan qui me surprend moi-même, je dis être sensible. Elle s'étonne que je ne lui en aie jamais parlé. Sartre m'a fait plusieurs fois décrocher celle-là, me dit-elle, désignant une autre aquarelle au-dessus d'un buffet. Je crois qu'il s’agit aussi d’un tableau abstrait, moi, cette aquarelle-là. Elle doit me détromper, me dévisage, m'explique que cela représente une foule de pêcheurs tunisiens occupés à piéger des thons dans un filet, mais qu'elle, elle voit une parade phénicienne. Et vous? me demande-t-elle. Elle fouille dans les affaires de sa secrétaire, s'est à cet effet glissée derrière le comptoir, sous lequel elle disparait tout entière. Moi? Une bagarre, je vois une bagarre, finalement. 

 

30 mai 2015 

 

J'essaye de ne pas trop vous ennuyer ici avec ce problème dont je vous ai déjà parlé, chers lecteurs, mais l'un de mes anciens psychothérapeutes continue de me relancer chaque mois depuis deux ans par des sms auxquels je réponds inlassablement en lui expliquant que ses méthodes ne me conviennent plus, que taper sur des piles de cartons avec une pelle de chantier ne m'a jamais fait progresser d'une quelconque manière, mais c'est plus fort que lui, il me propose et me repropose les mêmes techniques, comme celle qui consiste à hurler des onomatopées telles que badaboum, vlan, chtong, bang et j'en passe, mais aussi atchoum, miam- miam ou toc-toc...Et depuis deux ans, donc, je bute toujours sur la question de savoir quoi lui répondre, sans le blesser. Je pense que toutes ces thérapies ont atteint une limite qu'il faudra bien un jour avoir le courage d'admettre, et tant pis si nous devons vivre avec nos troubles, les miens sont finalement peu handicapants (achats compulsifs de robinetterie) comparativement à ceux dont souffrent des populations entières qui s'entassent l'été sur des promène- couillons pour aller aux Îles. Donc non, et d'abord mangeons plus sainement, demain j'attaque le chewing-gum aux endives braisées, sans sucre. 

 

14 avril 2015 

 

J'expérimente encore de nouvelles solutions pour améliorer la qualité de mon sommeil. Une petite brochure jetée récemment dans ma boîte aux lettres préconisait l'achat d'un kit composé d'une trentaine d'éléments, entre autres d'un pyjama à col roulé, tiens tiens intéressant le pyjama! et livré dans les deux jours, encore efficace après mille lavages, couleur au choix, j'ai choisi un gris anthracite à fines rayures verticales. Premier essai, avec seulement la veste de pyjama : aucun résultat, il fallait tout de même s'y attendre, pas grave, bon. Deuxième essai, et cette fois j'enfile plusieurs éléments, dont un pantalon en osier et des chaussures de golf : endormissement rapide mais réveil tout aussi rapide après environ trois minutes d'un sommeil émaillé de rêves au cours desquels je suis sous la soie sauvage avec Astrud Gilberto qui chante Desafinado assise sur mon ventre. Impossible de me rendormir. J'enlève les chaussures de golf, ainsi que le macfarlane et le chapeau melon censés me "mettre en fréquence basse", s'ensuit un épisode aigu d'hypothermie et de sudation. Troisième essai avec seulement sur moi le blazer croisé bleu marine : sensation qu'on essaie de me faire rire sous toute sorte de prétextes, nuit hachée... Bref non. Il y a bien une dernière solution, mais elle consiste à pétrir toute la nuit une fausse crêpe en latex (les gens tout de même). 

 

21 février 2015 

 

L'homme était Claude Lévi-Strauss. Lui aussi, de la terre, il s'en était mis sur les mains en jouant dans le jardin. Bon, disait-il, il y a du savon de Marseille quelque part ? Oui, oui, là-haut, à la salle de bains, dans un placard. Nous montions. Du genou, je poussais la porte de la salle de bains, allumais du coude l'ampoule du lavabo, et, les mains en suspension devant moi, demeurais sur le pas de la porte, le temps qu'il jette un regard circulaire dans la pièce, s'extasie sur le réseau de fissures qui parcourait l'émail du lavabo, de la baignoire et du bidet, sur la robinetterie d'autrefois, sur la baignoire sans coffrage (tout ce dont il avait rêvé à une époque, moins maintenant). Quant au bidet, que j'avais décoré de rayures noires, il lui trouvait une ressemblance avec un zèbre [fin du rêve, si j'excepte une courte scène qui a posteriori semblait le prolonger, au cours de laquelle j'enfourchais un zèbre pour traverser la chambre de mes parents en pleine nuit].

 

03 janvier 2015 

 

Université Inter-Âges dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Autour de moi, seulement des gens de la génération de mes parents. Toute la première partie du rêve consiste en une intervention du professeur encore caché derrière un grand rideau, on l'entend dresser une interminable liste de tous les objets pouvant servir de projectile au cours d'une manifestation, notamment au moment de la dispersion. Son assistante apporte sur l'estrade lesdits objets à mesure qu'il avance dans sa liste. Standing ovation lorsqu'enfin il apparaît et dépose un pavé sur le bureau. Mais ce qui surprend le plus, ce ne sont pas les extincteurs, les chaises de bars, les barrières de sécurité ou les pare-chocs de voitures, non, c'est une carcasse calcinée de Volkswagen, apportée par six malabars. Dans son explication le professeur spécifie le caractère authentique du vestige et précise que la voiture a été précipitée en flammes sur les forces de l'ordre depuis le toit d'un immeuble de la rue Gay Lussac en 1968. Explosion de rires quand il s'installe au volant de la carcasse et dit: "Je vous ai compris ". 

 

3 décembre 2014 

 

Rêves successifs en cette fin de nuit, comme une séquence répétée plusieurs fois avec d'infimes nuances. Je suis assis dans le métro et mon voisin de banquette, un inconnu, me demande si j'aime John Lennon, à quoi je réponds que oui dans Jealous Guy par exemple, il ne laisse jamais rien filtrer de son jugement sur ma réponse, se contentant de prononcer des phrases confuses concernant Erroll Garner, avant de se lever et de sortir toujours à Chaussée-d'Antin. A mon réveil définitif, je tape Erroll Garner sur mon téléphone : aucun lien vers John Lennon, et pas davantage vers Erroll Garner en tapant John Lennon, bon. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, dommage d'ailleurs, ah! la voix inclassable de Lennon et les mains décalées d'Erroll, ça aurait eu de la gueule (mais Yoko n'aurait pas été d'accord, pas de bed-in à trois). 

 

5 novembre 2014 

 

Depuis l'intérieur d'un lieu immense je regarde un paysage urbain qui ressemble à celui de mes tableaux. Un dénommé Albert est à mes côtés. Il porte un ensemble magnifique de chez Rohmer (Eric Rohmer est couturier dans ce rêve), il m'entraîne parmi des gens, me présente, s'enquiert de mon opinion sur eux, me désigne des célébrités que je ne connais pas. Tout le monde porte des vêtements fabriqués me dit-on par les habitants d'une vallée du Népal. Et l'on se plaint ici ou là, ce qui consterne cet Albert. Alors, à la hâte, il s'ingénie à rendre la joie, apparaissant à cet effet dans des tenues voyantes, dévidant en tous sens de gigantesques rouleaux d'une matière rougeâtre comparable une fois par terre à de la cendre, criant sur son passage : "Dégagez dégagez!"... Des autos tamponneuses de fête foraine sillonnent ce vaste lieu. A bord de l'une d'elles je crois reconnaître Eric Rohmer. Robert murmure : "Il fait des serviettes de bain aussi"... 

 

15 octobre 2014 

 

Rêve de cette nuit : Le plancher est pourri, disait le général de Gaulle, et personne ne prêtait la moindre attention à ce qu'il disait ensuite à propos du contenu de cette buanderie, pas même moi, qui notait cependant, car je me trouvais juste à côté de lui, son état de saleté, du moins celui de ses vêtements, et ça ne devait pas être mieux à l'intérieur. A tout hasard, je lui demandais s'il n’y avait pas ici une embarcation à bord de laquelle nous aurions pu lui et moi faire un tour sur le lac, me doutant je ne sais pourquoi de la réponse, qui en effet ne tardait pas. Le général de Gaulle, alors, s'éloignait un peu de moi, un bout de bois à la main, et je le voyais longer un parterre de dahlias, traîner les pieds sur l'allée de gravier, asséner aux fleurs de temps en temps un coup de bâton qui leur arrachait quelques pétales. J'ai des trucs à faire, lançait-t- il de loin. 

 

17 septembre 2014 

 

Au début de ce rêve, Erroll Garner est assis au bord d'un lit, moi debout près de la fenêtre. Il faudrait qu'on enlève tout ça, dit-il en désignant des images collées aux murs. Il observe l’un des coins de la pièce, au-dessus de la tête du lit, où parmi d’autres images est accroché un clown peint par Buffet. Il dit qu’il hésite tout de même, que c'est marrant. Puis il monte debout sur le lit, ôte les quatre punaises, roule le poster, le maintient roulé à l’aide d’un élastique trouvé dans une boîte en plastique remplie d’élastiques de toutes les couleurs. Depuis la fenêtre nous jugeons de l’effet produit par la disparition de ce clown, en venons à recenser ce qui mérite ou pas de rester sur ces murs. Il y a des Mao, quelques Che, une ou deux Chevrolet Corvette, des Rimbaud au plafond, des Jimmy Page ici et là, deux ou trois petits Chirac à droite de la porte, un Sardou... Je dis que les Jimmy Page moi j’aime bien ça. Nous nous taisons, nous asseyons par terre, adossés à la fenêtre. Il joue avec l’un des doigts de sa main droite, l’annulaire, qu’il soulève et lâche, obtient que celui-ci produise un claquement sur la toile de son pantalon... 

 

3 août 2014 

 

Variante d'un rêve récurrent. Je suis sur le trottoir d'une rue indéterminée, face à un inconnu, un vendeur ambulant, "d'articles en tout genre" me dit-il. Il m'interroge sous forme de questions brèves, qui ont trait à des domaines si disparates que de l'une à l'autre je ne parviens pas à me concentrer (le domaine de la musique semble dominer, notamment du piano). Je le sens : mes réponses n'ont aucune cohérence, ce dont je ne m'inquiète d'ailleurs pas (j'en conclus qu'il fait une expérience de vente). Il est voûté derrière un chariot qui se présente pour moi un peu comme un piano à queue, un large couvercle en occupe toute la longueur, que je pourrais ouvrir. Il me semble coincé entre cette sorte de piano et un mur. Le dessus de l'instrument lui arrive à hauteur des yeux. Je l'écoute. J'ai l'intuition que, compte tenu de sa position inconfortable, sa voix faiblira, et s'éteindra. Il finit en effet par se taire. J'ouvre alors le couvercle et découvre à l'intérieur un amoncellement d'objets endommagés, parmi lesquels un lot de mini tabourets de piano reliés entre eux par une ficelle et portant une étiquette indiquant Ayant appartenu à Erroll Garner. Quand je m'éloigne, j'éprouve une grande tristesse en pensant que cet inconnu était peut-être Erroll Garner lui- même, réduit après sa mort à cette activité de rue. 

 

13 juillet 2014

Ma vie d'artiste peintre comporte de nombreux rituels, et je ne crois pas être une exception parmi les artistes, corporation très touchée par ce mal, certains maîtres comme Picabia allaient jusqu'à changer de veston toutes les heures, au quart. Je suis ritualisé, soit, disons que je le suis trop, et en dehors même de l'atelier. Bien. C'est vrai que l'habitude de frapper trois fois mes espadrilles sur le bord de la baignoire avant de les enfiler est ridicule, je songe donc à ne les frapper trois fois que les jours pairs et par exemple une seule fois les jours impairs, pour changer... Et mes pyjamas, que je pourrais frotter avec du jambon le mardi une semaine sur deux, plutôt qu'avec du lard toujours le mercredi... Cette prise de conscience me fait un bien fou, allez savoir pourquoi. 

 

13 juin 2014 

 

Maurice Ravel regarde la plage. A gauche, hors champ, nous avons Nijinsky, assis au piano, qui d'une main droite distraite déchiffre l'un des mouvements de Daphnis et Chloé, s'arrête un instant, reprend plusieurs mesures en arrière et dit : "Sur cette phrase-là je verrais bien deux grands jetés et une chute dans la farine, non ?" - Excellent, dit Ravel, fixant la ligne d'horizon, oui parfait, oui, ah oui la farine, je n'y aurais pas pensé"... La mère de Maurice, Maria Deluarte, entre dans la pièce, s'approche de son fils, en espagnol lui murmure : "Baveuse, l'omelette ?"... Les trois sortent alors de la pièce à pas lents, un peu théâtraux. Silence. Il est 13h02. 

 

5 juin 2014 

 

Idée pour un tableau : au premier plan un jeune garçon dissimule une charge d'explosif dans une casserole remplie de blanquette de veau, tandis que derrière lui on devine la scène d'un théâtre où se déroule la représentation d'une pièce au cours de laquelle un homme déguisé en dervish tourneur est précipité sur une étale de fromager (je ne devrais pas noter mes idées, elles n'aboutissent jamais). 

 

17 mai 2014 

 

J'aime le mot pinceau, mais la vie oblige à en utiliser d'autres, pantalon par exemple, qui n'a aucun intérêt, ou boîte, auquel les gens ne résistent pas et que j'essaye personnellement d'utiliser le moins souvent possible, qu'il faut caser par exemple dans une phrase comme : mais monsieur ceci est une boîte en fer (il y a des gens à qui il faut le dire, pas toujours commodes)... Le mot approximatif, lui, survient en toutes circonstances (comme vibraphoniste, qui n'est pas un mot facile), mais je n'ai jamais eu à l'utiliser. 

 

23 avril 2014 

Un jour de juillet, au Louvre, j’ai approché mon nez de cette petite toile de Vermeer, La Dentellière, et j’ai senti le tableau. Derrière moi, quelqu’un s’indignait : why does he do that? Pourquoi je sentais ce tableau ? Je ne savais pas, en l'occurrence ça ne sentait rien, mais je sens toujours les choses, la nourriture, les pages des livres, le linge propre. La personne (une dame d’une soixantaine d'années, en nage, plus ou moins américaine et qui connaissait un peu la langue française) semblait comprendre, mais avec le tableau de Vermeer elle ne comprenait pas. J’ai expliqué que je pouvais deviner beaucoup de choses ainsi, et ça l’a fait sourire car j'ai reniflé l'intérieur de son sac à main. En éclatant de rire et avec un fort accent elle a dit en français : quel âge ? J'ai répondu trente-neuf ans bien sûr. Et avec le mien ? demandait un monsieur ironique d'une soixantaine d'années lui aussi, au fort accent et en nage lui aussi (sans doute le mari de cette dame), me tendant, hilare, une petite sacoche infâme, ouverte. J'hésitais : quatre-vingt-neuf, eighty-nine. L’homme riait, figé dans sa sueur. Bref. L’odeur d'un tableau est comme l'enfance, elle s'évapore avec le temps. Je regardais par l’une des hautes fenêtres sud du Musée, ouvertes vers la Seine. Sur les berges d’en face, les passants se hâtaient en direction de l'ombre des arbres. 

 

9 mars 2014 

 

Ce soir, cette phrase dans le métro, à Trocadéro : "J'ai vu ça en Campanie dans les jardins du palais de Caserte", prononcée par une grosse femme blonde qui s'exprimait à la cantonade, les traits dilatés par le plaisir, entourée d'amis nombreux qui venaient de monter dans le wagon avec elle. Elle s'est laissée tomber sur une banquette libre, comme sous le choc de ses propres paroles. Elle a glissé à l'oreille de sa voisine un bref propos que personne ne pouvait entendre. Une amie du groupe faisait alors une réflexion concernant le palais de Caserte, qui donnait lieu à d'autres réflexions plus ou moins audibles, et un échange semblait s'organiser petit à petit autour de ce palais, que beaucoup connaissaient. Puis quelqu'un a lancé : " Doudou vous parle!". Un homme a raconté une blague (avec l'accent espagnol - le personnage était Picasso enfant). On s'esclaffait. S'ensuivait un brouhaha au sujet de la jalousie que Picasso suscitait. La suite se perdait dans une explosion de rire provoquée par un grand type mince qui ressemblait à Boris Vian : il ponctuait ses blagues de gestes et de grimaces qui exprimaient bien ce qu'il fallait comprendre (rires étouffés ici et là), il parlait avec un petit accent étranger, ouvrait sa chemise, exhibait son ventre, lâchait parfois une considération d'un niveau supérieur, sifflets d'admiration, applaudissements, il jouait la fausse immodestie, relançait les applaudissement. Bon. Ils sont descendus à La Muette et le wagon est retombé dans sa torpeur. 

 

19 février 2014 

 

D'un vieux carnet de notes : "Rêve d'une selle de scooter sous laquelle je n'arrive pas à me glisser, je dois pour cela ôter un manteau, puis un autre, et encore un autre... quatorze manteaux en tout." Je suis satisfait d'avoir retrouvé cette note, qui comporte une similitude avec un rêve tout récent que je n'ai pas noté et dont il me reste ce fragment : j'achète une grande valise, quand je l'ouvre je découvre un short ayant appartenu à Jean-Sébastien Bach, que j'enfile, puis un autre que j'enfile également... quatorze shorts (les rêves tout de même). 

 

12 janvier 2014 

 

Rêve : Je participe comme invité à une émission de télévision, c'est du moins le sentiment que j'ai, mais il n'y a aucune caméra, aucun technicien, pas de décor particulier, le lieu s'apparente à un amphithéâtre et nous sommes des centaines à nous trouver là pour ce que la personne debout sur l'estrade appelle un "direct". Cette personne est un homme au début du rêve, puis une femme... De grands haut-parleurs diffusent des questions, auxquelles les participants doivent répondre à tour de rôle. A mesure que je sens venir mon tour je m'aperçois avec soulagement que la seule réponse faite par les gens qui m'entourent est : je ne sais pas. Cela n'entame jamais le moral de la personne présente sur l'estrade, qui va et vient en expliquant des choses que je ne me rappelle plus maintenant. Lorsqu'enfin une question s'adresse à moi, je réponds que je ne sais pas, les visages se tournent dans ma direction, on me sourit de toute part [suite incertaine]... Je suis parmi un groupe de gens au rez-de-chaussée de l'établissement, nous marchons à une allure rapide vers une salle où vont être annoncés les résultats d'audience, tout le monde est vêtu de shorts et de chemises légères... Comme nous arrivons sur une plage, je reconnais ma mère à mes côtés, qui prend ma main, doucement... Elle a une vingtaine d'années. Elle me dit : "Tu sens cette odeur de buis?"... et j'éprouve un affreux sentiment de perte affective, qui me réveille en sursaut. 

 

16 décembre 2013 

Aujourd'hui j'ai envoyé par mms cette photo au docteur K. Il l'a examinée avec beaucoup d'attention, m'a-t-il répondu par sms quelques minutes plus tard... Puis il a écrit que c'était intéressant, que par ailleurs il voyait là autre chose que de la peinture, peut-être une forme située aux confins de la pensée... Bon, je ne voyais pas ce qu'il voulait dire mais j'ai répondu que merci ça me touchait beaucoup, que je cherchais simplement à retrouver les musiques des années 60, que cette pochette des Stones me plaisait, qu'ainsi je me rappelais mieux les troubles de mon adolescence... que j'avais peut-être trouvé un moyen de formuler différemment ma pensée, enfin que cette pochette me plaisait quoi, que c'était évident... "Oui, poursuivait-il, c'est évident"... Il m'envoyait alors un mms le représentant déguisé en Mickey Mouse. Et nous demeurions un long moment sans correspondre. Trois heures plus tard il finissait par écrire: "... ça fera cent soixante euros". Et j'éteignais mon téléphone (les gens tout de même) 

 

10 octobre 2013 

 

Dans ce rêve interminable et entrecoupé de semi-réveils, mon professeur de dessin est la personne que j'aime le plus au monde, lui-même m’adore, me choie, exécute pour moi de magnifiques travaux au fusain, que j'emporte à la maison avec grand plaisir. Mais il quitte l'établissement pour un autre situé à Paris. Je me sens abandonné. Je l'efface alors de ma mémoire, je ne veux plus qu’on prononce son nom. Et je refuse désormais de travailler au fusain. Vers la fin de ce rêve, en traversant les jardins du Trocadéro, je vois une dame âgée installée avec son carton à dessin, traçant au fusain sur une petite feuille quelques maigres, maladroits et désuets contours de la tour Eiffel, spectacle qui me remet en mémoire le souvenir de ce professeur et me soulage d’un grand poids secret, moi qui depuis l'époque rendait cet abandon d’autrefois seul responsable de ma répugnance pour le fusain. Devant cette dame, il m'apparaît que je n'avais à l'époque pas compris le ridicule de cette technique, ni son destin malheureux. 

 

4 septembre 2013 

 

Je me tiens immobile au milieu du jardin qui entoure la maison de Carl Gustav Jung à Zurich. Autour de moi, une réception. Les convives vont et viennent dans ce jardin, dans la maison et jusque dans les étages. Personne ne remarque un détail : la chambre de Carl Gustav Jung est éclairée. Le spectacle est sans pareil. Mais lorsque je tente plus tard de m'introduire dans la maison, je dois présenter à une sorte de vigile une valise que je n'ai pas. Où se la procurer? J'interroge des gens évasifs qui instillent en moi une angoisse affreuse. Tous possèdent cette fameuse valise (je le découvre à ce moment). [...] Je suis à présent à l’intérieur de la maison, dans une pièce en tout point semblable à mon actuel atelier parisien, en compagnie cette fois du célèbre psychiatre. Il est mon père. Je suis délivré de cette angoisse, soulagé de n’avoir semble-t-il plus besoin de la valise, valise dont j’écoute ce père me révéler l’essence si indispensable un instant auparavant. Ses paroles sont hélas prononcées dans une langue étrangère. Mon attention se porte alors sur ses gestes, de grands gestes voulant figurer l’envol d’un oiseau... Il s’ensuit un réveil progressif, au cours duquel ma conscience fait état d’un élément absent du rêve : la valise renfermait des mouettes. Et je ressens le désir absurde de rejoindre ce rêve pour une confirmation. 

 

30 juin 2013 

 

Attention au site tripadvisor.com. Sur le conseil de certains commentaires postés sur ce site, je viens de passer une petite semaine à New York pour essayer les chambres du Parker Méridien, en effet très calmes, du moins la mienne (située au 39ème étage face à Central Park). Bon. Mais le personnel de cet hôtel ne m'a fourni aucune explication satisfaisante sur la perte d’une grande partie de mes bagages, arguant d’une soi- disant exigence esthétique de l’établissement, tu parles, et le petit déjeuner vous est monté par des messieurs très stricts vêtus de shorts en osier. Je conseillerais donc plutôt le St Régis, à deux pas de là, où le personnel, plus proche de vos préoccupations, a pris gentiment en charge l'acheminement de mes bagages (finalement retrouvés) jusque dans la chambre, les valises bien sûr mais aussi mon V8 Ford ou mes pare-choc de taxi, et n’a fait aucune remarque au sujet de mes capots moteurs, mes câbles électriques, mes roues et mes fauteuils entassés à la salle de bain... Mais le petit déjeuner n’est monté à la chambre que jusqu'à 16h, contre 19h au Parker Méridien (22h au Hilton, mais ils refusent le port de chaussettes dans les lits). 

 

22 juin 2013 

 

Rêve : Un grand hangar. Une sorte de cadre sup montait sur une estrade, lisait un article de réglement et s'aspergeait le visage de sirop d'érable avant d'absorber une part de tarte aux pommes. "Oh l'autre hé" scandait alors l'assistance. D'un coup de sifflet il a ensuite introduit dans ce hangar un petit cortège constitué d'autres cadres sup poussant un lit à roulettes sur lequel était étendue une "cadre supe", celle-ci s'est redressée et d'une voix faible a déclaré être couchée dans ce lit depuis trente ans, trente ans sans boire ni manger autre chose que des restes de ratatouille froide. Nouveau coup de sifflet du cadre sup : l'assistance a cette fois pouffé en choeur, longuement, ponctuant ce brouhaha de grands "oh l'autre hé". Ont suivi plusieurs autres démonstrations au cours desquelles notamment des cadres sup grossièrement déguisés en singes simulaient une lévitation juchés sur un genre de chariot élévateur bricolé, chaque fois l'assistance pouffant en choeur, répétant les mêmes "oh l'autre hé". A la sortie, chacun recevait un tract annonçant le retour au cinquante heures et suivait une distribution de petits flancs aux raisins ayant appartenu à Jacques Anquetil, que tout le monde refusait en disant "oh l'autre hé". 

 

14 juin 2013 

 

Dans mon rêve de cette nuit un homme assis à mes côtés dans un wagon du métro tient à la main un maillet en caoutchouc dont il assène subitement un coup violent sur le plateau en laiton ciselé de la table basse placée devant lui, puis il déclare être libre de frapper ce qu'il veut quand il veut. Un autre homme assis en face approuve, dit d'un petit air surpris et réjoui que c'est bien d'avoir pleinement satisfait son besoin de frapper le plateau de la table et de produire ce bruit assourdissant, mais que sans le discours qui a précédé (dans le rêve je ne comprends pas à quoi il fait allusion) il n'en aurait pas éprouvé l'envie impérieuse pour se défouler, qu'il a ainsi été dépendant plutôt que libre... Le premier homme quitte alors le wagon à la station suivante et je chante Stardust... and now the purple dust of twilight time steals across the meadows of my heart... m'étonnant moi-même de me rappeler ces paroles et de chanter juste. 

 

2 juin 2013 

 

Je pensais à un vert de Picasso, un vert légèrement bleuté, un peu sale, et simultanément je pensais à la Rapsodie Espagnole de Maurice Ravel, j'ignore pourquoi. Trouble, donc, à l'instant en écoutant cette oeuvre; elle fait surgir une Andalousie imaginaire; l'hispanisme ravélien est plus rêvé que scientifique, est plus proche de Carmen que de l'Amour Sorcier. J'aime ces premières mesures obsédantes à quatre notes de l'ouverture (Prélude à la Nuit), cela semble si espagnol, on les trouve pourtant dans le Qui tollis et l'Agnus Dei de la Messe Hongroise du Couronnement de Liszt, mais dans cette Rapsodie la répétition et l'orchestration lui donnent une couleur andalouse. C'est donc associé maintenant à ce vert de Picasso; cette musique est verte. 

 

26 mai 2013 

 

Rêve de cette nuit : Maman porte des vêtements amples qui cachent son corps. Cheveux noirs très longs. Nous sortons de la maison. Nous marchons d'une façon presque machinale, comme vers une destination déterminée. Les façades ensoleillées de la rue Félix-Faure éclairent nos visages [...] Nous sommes arrêtés devant une boutique d'alimentation spécialisée. Elle regarde les sortes de pâtisseries exposées en vitrine. Je la suis à l'intérieur, me maintenant un peu en retrait. Et je l'observe à son insu. Tout est long et noir chez elle, sa veste, ses cheveux, la courroie de sa sacoche d'ordinateur. Lorsqu'elle se retourne vers moi pour ressortir, tenant à la main un ballotin débordant de choses, elle sourit. Les traits fins de son visage contrastent avec le restant du corps, sans doute enrobé. Mais il y a une harmonie, que je ne parviens pas à expliquer. Nous longeons l'avenue Foch jusqu'à la mer. Nous partageons le contenu du ballotin, chocolats, frites, saucisses, pâtes de fruit, jambon de pays. Plus loin, sur la digue Nord, elle s'assied sur le parapet encore mouillée. Je m'éloigne pour jeter le ballotin vide dans une poubelle. A distance, je la regarde encore. Qui est-elle, après tout? Je pourrais la laisser là, partir. Je reste, et tout cela ne tient peut-être qu'à un fil, qu'à un goût de chocolat et de jambon dans la bouche. Je m'assieds à ses côtés et je ferme les yeux. J'écoute le bruit des vagues contre la digue, pensant à l'atmosphère du cinéma noir et blanc des années cinquante, à des scènes des Quatre Cents Coups, à ce Paris aux façades noires. 

 

16 mai 2013 

 

D'un vieux carnet de notes (1992) : Rêve d'une selle de scooter sous laquelle je n'arrive pas à faire entrer un individu, il doit pour cela ôter un manteau, puis un autre, et encore un autre... quatorze manteaux en tout. Je suis content d'avoir retrouvé cette note, qui comporte une similitude (entassement) avec un rêve noté le mois dernier : on m'offre une valise remplie de mouettes, que je n'entends pas (même en collant mon oreille contre la valise), elles s'envolent brusquement dès que j'ouvre. Et la nuit dernière j'ai rêvé qu'on m'offrait pour mon anniversaire une valise d'où émanait une ambiance sonore de type marin, oiseaux, ressac, mais en l'ouvrant je découvrais un vieux short ayant appartenu à Franz Kafka (les rêves tout de même). 

 

8 mai 2013 

Dans mon désordre de l'atelier j'ai retrouvé un cahier dont j'avais rempli seulement quelques pages à l'adolescence. J'ai vu dans ce cahier une certaine tristesse, pas une tristesse transcrite au présent, mais une autre, absente du cahier et dont j'ai souvenir aujourd'hui. Mon cerveau restitue cette tristesse, disons qu'il en délivre une image à lui. J'ai jeté ce cahier. Ensuite j'ai travaillé. Mais j'ai fondu en larmes. Mon geste n'était pas en cause. J'ai pleuré parce que j'entendais une voix lugubre, un appel à la tristesse qui émanait de ce cahier. Je ne suis pas triste, simplement j'ai peur de cet appel. Il y avait sur la page de garde de ce cahier cette phrase étrange : "L'Eternel est celui qui te garde, l'Eternel est ton ombre à ta main droite." J'avais dû la trouver quelque part, peut-être dans la Bible. J'aime assez cette poésie, un peu mystérieuse, qu'on arrange comme on veut. Il y a tout un mystère dans mon ombre : pourquoi est-elle à droite et pas derrière, pas à gauche ? Je ne regrette pas d'avoir jeté ce cahier. Il venait du lointain, il y est retourné. Un point dans le bleu de l'horizon, que le ven 

 

26 avril 2013 

 

Rêve : Je suis à Venise, dans la chapelle du Rosaire de la basilique de San Zanipolo, assis sous un tableau de Véronèse, "l'Adoration des Bergers". Je pouffe bêtement, et la nature de ce fou rire a une grande et mystérieuse importance dans le plaisir que j'y prends. Je sors de la basilique. Un cratère de volcan s'ouvre au milieu du parvis. Personne n'a peur. Quelqu'un dit qu'il s'agit d'un oracle. Certains témoins de la scène sont équipés d'espèces de smartphones qui décryptent les oracles, il faut alors s'approcher d'eux pour comprendre ce qu'il se dit. Mais la cohue est telle que je ne parviens pas à m'approcher suffisamment. Les visages sont graves, une gravité qui ne m'atteint pas du tout, qui m'apparaît au contraire comme la chose à laquelle, confusément, j'avais pensé un instant auparavant, dans la basilique, pour expliquer la nature de mon fou rire... 

 

18 avril 2013 

 

Nous sommes une trentaine de personnes entassées dans une immense nacelle, notre ballon survole une chaîne de montagne dont on me dit qu'il s'agit de l'Himalaya, personne ne parle, le silence est absolu, nous sommes en quête de communion intemporelle et de vérités incultes. Parfois quelqu'un psalmodie une prière bouddhiste... [suite incertaine, peut-être bref réveil]... Nous sommes quatre ou cinq dans cette nacelle, très religieux, préoccupés de réincarnation, tout le monde se lamente à l'idée de disparaître un jour, de ne jamais plus exister, de sombrer corps et âme dans l'éternité silencieuse, de devoir tout laisser pour toujours, et même, me dit mon voisin, de "ne rien pouvoir acquérir durant notre vie que nous puissions au moins emporter". Seule nous anime l'idée d'éternelle douceur de vivre. Alors nous marmonnons des litanies en dodelinant de la tête, nous dévidons des chapelets et des fuseaux de laine, nous tripotons la tsampa, nous faisons de la bouillie dans du thé salé au beurre de yach (dégueulasse), il règne une infernale odeur de beurre. Je finis par me jeter dans le vide, je vole un instant au-dessus de toits et me pose dans la partie est du parc Monceau, devant les grilles de l'avenue Velasquez, que je franchis. Je tente d'entrer dans le musée Cernuschi mais un homme me barre le passage à cause de l'odeur de beurre que je porte sur moi. Je me réveille en nage. 

29 mars 2013

 

Je me tiens immobile sur un toit-terrasse à New York, observant un homme immobile lui aussi, en qui je crois reconnaître Maurice Ravel. Il est assez loin de moi. Dans la première partie du rêve, des silhouettes se pressent dans mon périmètre immédiat, une clameur et de grands bruits se font entendre plus bas dans la pénombre de la rue, de gros objet (peut-être des voitures) tombent dans l’eau, des cris. Maurice Ravel, oui. Les mains jointes, je le regarde, regrettant de n'être pas à ses côtés, mais c'est ainsi : je n'ai pas le droit de changer de place. Je lui adresse d'absurdes petits signes (jugés comme tels sur l'instant)... Plus tard, je suis contre lui, si près 

 

27 mars 2013 

 

Piet Mondrian. Cette peinture perpendiculaire m'intéresse peu, me glace, intransigeante. Piet Mondrian va se brouiller avec un autre peintre, un ami qui partage ses visions, va se brouiller parce que l'autre introduit la diagonale dans sa peinture à lui, non mais oh! Bon, mais Mondrian lui-même m'intéresse car il est né dans une famille calviniste pure et dure, et qu'il a lorgné un moment ailleurs, pour finalement enfoncer le clou rigoriste, ascétique de ses origines perpendiculaire. Comme Piet je n'échapperai sans doute pas à mon éducation calviniste, du moins pas ce soir, on verra ça demain. De toute façon il y a des diagonales dans ma peinture. 

 

15 mars 2013 

 

Je suis dans un jardin d’hiver avec un inconnu, il est tiré à quatre épingles, je voudrais connaître son identité, rien n’atteste de la plus petite réponse, et je me sens dans l’impossibilité de poser la moindre question. Il y a là un ensemble de sièges en rotin enfouis sous la végétation. Dehors, les branches d’un cèdre effleurent l’extérieur des parois vitrées. Nous nous asseyons de part et d’autre d’une table basse, posons nos gobelets côte à côte sur le bord du plateau, veillons à ne pas déranger les cartes d’une partie de crapette en cours, soutenons une conversation commencée à l’intérieur de la maison, faite de généralités que nous assemblons au petit bonheur, ce qui me désole dans un premier temps, et finit par susciter en moi un sentiment de familiarité. Nous saisissons chacun un magazine sur la pile posée par terre à côté de la table, finissons par nous taire. Quand je me réveille, il est 3h44. Je me sens infiniment bien, je note ce rêve et me rendors aussitôt. Juste avant que mon réveil sonne à 8h30, je rêve à nouveau de ce même jardin d’hiver, exactement le même, mais sans la présence de l’inconnu, ni en moi la simple conscience de lui, et envahi par un immense et incompréhensible chagrin. Encore dans un demi-sommeil après la sonnerie du réveil, et repensant à ce dernier rêve (avant de relire mes notes concernant le premier, alors complètement oublié), je n’explique pas ce chagrin. Quand je relis les notes du premier rêve, je comprends que, peut-être, l’inconnu me manquait dans le second, sans que j’en aie conscience. 

 

7 mars 2013 

 

Je suis à bord d’un paquebot d’autrefois. Tout est délabré, à l’abandon, désert. On me dit qu'il y a encore des passagers. Au début du rêve, je suis dans ce qui était à l'époque la grande salle à manger des premières classes. Ce qui me bouleverse, aux larmes, c'est d'avoir vu souvent ce navire à l'époque de sa splendeur dans le port du Havre, sans être jamais monté à bord. Maintenant que je suis là, tout est fini, vide, rouillé. [suite incertaine...] Une femme est devant moi (elle prétend être ma mère mais a les traits d’Erroll Garner, les cheveux lisses, plaqués, gominés). Nous sommes sur un pont extérieur du paquebot. Elle est accompagnée d'un contrebassiste et d'un batteur, elle-même assise à un piano droit hors d'usage, dont elle tente de sortir des sons, en vain. Son visage exprime la déception de ne pouvoir me réconforter. Elle s'empare alors de la contrebasse et interprète Mood Indigo sur la corde de mi... Quand je me réveille, je suis encore tremblant d'émotion. 

 

1er mars 2013 

 

Aujourd'hui je me suis endormi chez le docteur K., sur le divan, et j'ai fait ce rêve : Je suis face à Staline. Il m'interroge sous forme de questions brèves, qui ont trait à des domaines si disparates que de l'une à l'autre je ne parviens pas à me concentrer. Je le sens : mes réponses n'ont aucune cohérence, ce dont je ne m'inquiète d'ailleurs pas (j'en conclus qu'il fait une expérience). Il est voûté derrière un meuble qui se présente pour moi comme une commode, de larges tiroirs en occupent toute la largeur, que je pourrais ouvrir. Staline me semble coincé entre cette commode et un mur. Le dessus du meuble lui arrive à hauteur des yeux. Je l'écoute. J'ai l'intuition que, compte tenu de sa position inconfortable, sa voix faiblira, et s'éteindra. Il finit en effet par se taire. Et je me réveille. Je raconte alors ce rêve au docteur K., qui de son côté a noté les propos que j'ai tenus pendant mon sommeil, charabia plus ou moins intelligible me dit-il, semé de termes techniques propres à l'univers de l'aéronautique. Ah bon. 

 

22 février 2013 

 

Rêve de cette nuit : Je suis assis dans une salle de spectacle toute blanche, à Paris, rue de la Chaussée d'Antin, une salle jouxtant une autre salle, plus grande, dans laquelle se joue une pièce de Jean-Paul Sartre. Dans ma salle à moi rien ne se passe. Je me lève, avec l'intention d'aller voir la pièce de Jean-Paul Sartre. Mais je longe d'interminables couloirs, découvre un espace uniquement composé de loges et de coulisses encombrées. Il me semble avoir passé mon enfance ici. Je me rappelle une enfance joyeuse, semée de manifestations que les autres n'entendaient pas, comme si l'on s'adressait à moi de loin sous le sol de cet endroit : des chants qui revêtaient des sens différents selon les jours. Je me rappelle qu'un manteau appartenant à Jean-Paul Sartre était autrefois accroché dans l'une de ces loges, un manteau phosphorescent portant l'inscription "Le Havre". Je retrouve la loge, mais le manteau n'y est plus. Je m'approche de la fenêtre, je fais un signe à un homme occupé à étendre du linge dehors (il s'avère qu'il accroche des clés de cadenas sur une corde à linge). Comme il ne me voit pas, j'actionne une sorte de corne de brume qui produit un son dont les échos se répercutent à l'infini, comme à la montagne. Je me penche. Et je tombe. Jean-Paul Sartre m'accueille en bas, chaussé de ballerines Ferragamo, que nous passons des heures à admirer tout en marchant ensemble le long du boulevard Haussmann. 

 

6 février 2013 

 

J'entends à la radio les premières mesures d'un concerto d'Arcangelo Corelli, le numéro huit en sol mineur (fatto per la notte di Natale, pour la nuit de Noël). Ce que je vois : le ciel de Paris ressemble aux ciels des côtes normandes, les nuages filent vers le sud, chargés de houle, de solitude. La fenêtre est ouverte, le vent froid circule dans l'atelier, mêlant les effluves de café aux effluves de térébenthine qui les ont précédés. Eh oh oh! dis-je à la personne qui interrompt la musique pour annoncer le temps qu'on met pour aller de la porte d'Auteuil à la porte de Bercy, cinquante-deux minutes, non mais sans blague, faut arrêter avec ces fadaises (les gens tout de même). 

 

31 janvier 2013 

 

Ciel bas à Paris, hier, lumière très faible, vers 16h cela s'éclaircit pendant que je suis allongé sur mon fauteuil relax, incapable jusqu'alors de choisir un titre pour ma toile, j'hésite entre "Evêque en tenue de plongée" et "Solange aux hortensias". Je sors de ma torpeur, fonce à la grande librairie, à la recherche d'une idée de titre : achat d'un lot de trente exemplaires des Frères Karamazov où je découvre la mise en scène d'une fraterie en proie au désir de tuer le père, énorme déception donc, j'abandonne les livres dans une agence immobilière du quartier. J'opterai plus tard pour La mort de Sardanapale, toujours préférable à des titres comme André Gide dans son bain ou Fausse mobylette. 

 

23 janvier 2013 

 

Note pour ces toutes premières semaines de la nouvelle année à l'atelier : 12/20. Satisfaction mitigée notamment à cause d'un T-shirt bleu foncé que je n'avais plus mis depuis des années et dont j'ai redécouvert trop tard les effets. Résultat : une sensation douloureuse tout au long des séances de la semaine dernière, pénible exécution d'une toile représentant André Gide déguisé en Garde suisse et frappant un jeune tunisien à l'aide d'un gigot d'agneau. Le vendredi j'ai troqué ce T-shirt pour un veston en tweed, gratté ma toile et tenté de peindre un autre sujet, sans conviction : une nature morte au singe congelé. Bon. Cette semaine, séances normales dans une blouse écossaise. Au téléphone, Martine a tenté de me rassurer en me parlant d'un pyjama de chez Agnès B. qui produirait des effets intéressants. À voir. 

 

12 janvier 2013 

 

Rêve récurrent. Je marche sur une plage, l'été, vêtu d'un manteau. Un homme prétendant être Maurice Ravel s'avance vers moi, me reproche de ne pas être en maillot de bain, puis tente de me mettre de la compote de pommes dans les oreilles. Dans la version de ce rêve datée de la nuit dernière, ce comportement me dérange mais ne me surprend pas. Et quand l'homme s'éloigne, comme les fois précédente je dis :"Vous n'êtes pas Maurice Ravel". Mais cette fois il se retourne : je reconnais mon père. 

 

10 janvier 2013

Ce portrait de maman enfant, au pastel, est accroché dans un musée, et dans ce rêve il s'agit d'une femme célèbre qui, me dit-on dans l'audioguide, a été ma mère "à une certaine époque". J'ai dû batailler pour fendre la foule rassemblée là, une foule maintenue à distance du tableau derrière un cordon de vigiles. Je suis seul au milieu de cette foule, et je ne comprends pas les raisons d'une telle bousculade, car ce tableau est signé d'un inconnu, c'est la voix de l'audioguide qui le précise et qui insiste sur ce détail. Maman, qui m'accompagnait tout à l'heure dans ce musée, je la sens éloignée, dans une autre aile du bâtiment, ou même dehors, en plein vent. Je la cherche en direction du tableau, duquel j'attends une réponse. Mais il ne s'agit pas du même tableau à 

 

4 janvier 2013 

Avant que d’autres n’aient la même idée que lui, Maurice Ravel s’avance sur le balcon, s’installe aux côtés de sa mère, Marie Delouart. Ils regardent au travers de la pinède le ciel dans la direction où le soleil s’apprête à disparaître, les Alpes françaises de l’autre côté du lac, la tache rose du Mont-Blanc. Puis il observe sa mère, le geste de ses doigts secouant la cendre de sa cigarette, la position de sa main, tranquille. Il avance ses lèvres vers son épaule, l’embrasse, (elle ferme les yeux), lui dit qu’on est rudement bien, là, hein. Oui, répond- elle. Elle finit par se tourner vers lui, par dire qu’elle boirait bien quelque chose et déposer son avant-bras sur la tête de Maurice. Ce geste suscite chez lui l’impression de retrouver une chose déjà vécue (par exemple dans la petite enfance) : une personne a dû placer ainsi un avant-bras sur sa tête, ou une jambe, et peut-être prononcé une parole qui s’est ensuite imprimée sur le souvenir de ce geste. Il a aujourd’hui perdu cette personne, perdu cette parole. Il ne lui reste que le geste, lui aussi n’étant malgré tout qu’un souvenir supposé. 

 

29 décembre 2012 

 

Je trouve que le Flore n'est plus ce qu'il était, l'écrasante comparaison avec le panache des années d’après-guerre a miné le moral du propriétaire, qui petit à petit a laissé tomber en ruine la qualité du mythe, c'est lamentable, et le monde littéraire a sûrement une part de responsabilité dans ce triste tableau, trop d'images dans les livres, Sartre est mort, les écrivains se mettent aujourd'hui au surf, à la vidéo, investissent à Dubaï ou se lancent dans la chirurgie plastique, ils n'ont plus les mêmes priorités. Aux Deux Magots, les serveurs travaillent en rollers, organisent des paris et des soirées speed dating, des comédiens déversent des seaux de béchamel sur les passants du boulevard Saint-Germain, tournent des caméras cachées, une zone détaxée et un service fast food sont proposés en salle. Même chez Lipp, en face, on a lâché prise. 

 

21 décembre 2012 

 

Rêves de cette nuit, situés sur l'esplanade du Trocadéro. Deux rêves. Dans le premier, je suis assis en haut des marches qui descendent vers les fontaines. Une personne m'accompagne, une femme, que je n'identifie pas, je la sens derrière moi, à quelques mètres, elle-même accompagnée et recevant des confidences touchant les domaines auxquels je suis sensible. J'entends parler sans tout à fait comprendre. C'est maman, je reconnais sa voix. Dans le second rêve, il s'agit d'une esplanade censée être celle du Trocadéro, dont elle se distingue en ceci qu'elle ressemble au quai d'un port, pas du tout à une esplanade, mais je me sens sur cette esplanade du Trocadéro. Les édifices qui l'entourent dans le réel sont ici très éloignés, à peine visibles. Depuis sa mort, maman habite l'un de ces bâtiments, constitués de deux corps séparés par l'esplanade, identiques, en arc de cercle. On me dit que cela ressemble beaucoup au palais de Chaillot. L'esplanade surplombe quelque chose de beau. J'aime être là. Une lourde lanterne de fer forgé est suspendue à un câble long de plusieurs kilomètres qui relié les deux parties du palais. Elle se balance lentement dans le vent. Lorsque maman s'approche de moi, d'une voix douce elle me demande de sourire. Je souris en fermant les yeux. Elle dit :"Avec les yeux ouverts" [...] Nous comparons la couleur de nos vêtements. 

 

15 décembre 2012 

 

J'ai vu trois fois le docteur B. en une semaine et je ne ressens pourtant aucun effet particulier, du moins aucun de ceux censés être produits par ce genre de cure. Trois fois le docteur B. est demeuré silencieux sur son fauteuil, s'en tenant de temps à autre à quelques réflexions dénuées de tout rapport avec la teneur de la séance, me relançant par exemple sur de vieilles questions comme celle de savoir ce qui explique l'absence de vélomoteur dans ma peinture, et pourquoi mes personnages ne sont jamais motorisés, questions auxquelles en l'occurrence je n'ai pas de réponse, il le sait. Ce matin, comme je vidais devant lui des tubes de dentifrice dans une casserole, il m'a brusquement répété qu'il n'y avait pas non plus de singe congélé sur mes toiles... Sa phrase est restée en suspens et nous avons bien sûr éclaté de rire, comme d’habitude, mais je n'ai pas su ce qu'il avait au juste à l'esprit, par ailleurs la casserole étant trop petite je n'ai pas pu y vider les cinquante tubes, j'ai dû presser les derniers au-dessus de la poubelle de son bureau, ce qui nous a encore bien fait rire. Cet après-midi j'ai pris le métro jusqu'à Pasteur, comme ça, pour me promener. J'aime bien ce Paris gris sous la pluie. 

 

7 décembre 2012 

 

J'ai retrouvé cette note dans un carnet que je remplissais à l'âge de vingt-deux ans : "L'habitude de m'en remettre aux prières de maman est peut-être absurde. On ne devrait pas croire qu'incombe à la seule prière la mission de vous satisfaire, car elle n'est qu'humaine si je puis dire, du moins n'est-elle pas divine. Il se peut en effet que la personne chargée de la formuler manque à son devoir. Comment faire alors ? Doit-on prier soi-même ? Prier c'est admettre son sort et, en quelque sorte, s'y plonger davantage. Certains, je le sais, doutent si la prière est seulement fondée. Je m'absorbe parfois dans l'idée que sont manifestes les cas où la prière est vaine et non ceux où elle agit. Maman mourra, et pour toujours s'arrêtera de prier, alors seulement je saurai si la prière agit." Putain ce qu'on peut être con et ampoulé à vingt- deux ans! 

 

29 novembre 2012 

 

Je suis dans ma salle à manger, à Paris (le rêve restitue exactement la pièce). Je tourne autour de la table en compagnie d'un homme qui prétend être Stan Getz, mais je ne le crois pas. J'entends des notes jouées au saxophone ténor, puis distinctement le titre But beautiful, comme si un musicien se trouvait dans la pièce. Nous empruntons une sorte de tunnel qui passe sous la table et pénétrons dans un renfoncement (situé à l'emplacement de la cheminée), où le musicien semble se trouver. Je suis subjugué par la qualité de cette musique. L'homme de tout à l’heure n'est plus là. Je touche une matière molle semblable à de la boue. Une personne se trouve là et me dit avoir un secret. Je me laisse alors glisser sans honte dans cette matière chaude, cherchant cette personne avec mes mains, je ne la trouve pas à proprement parler. Il s'avère que nos chairs et cette boue se fondent en une égale consistance, que des parties de nos corps sont partout à la fois [suite incertaine...] On m'annonce que l'homme de tout à l’heure était bel et bien Stan Getz. 

 

21 novembre 2012 

 

Je marche le long de l’interminable quai de la station Gambetta sur la ligne 3 (dans le rêve, cette station a appartenu à ma famille). J'entre dans une maison dont l'entrée est située très loin, à l’autre extrémité du quai, une maison uniquement composée de chambres. Je me rappelle avoir vécu là une enfance inquiète, troublée même, semée de manifestations que les autres n'entendaient pas, comme si l'on s'adressait à moi de loin sous l'écorce terrestre: des grondements qui revêtaient des sens différents selon les fréquences. Je me rappelle aussi qu'une partition originale de Maurice Ravel était autrefois accrochée dans l'une de ces chambres, une partition composée de signes phosphorescents et portant en bas à droite l'inscription "Pour Denis". Je retrouve la chambre, mais la partition n'y est plus. 

 

6 novembre 2012 

 

Tout à l'heure à Notre-Dame, Bach, Toccata et fugue en ré mineur BWV 538, dite dorienne pour ne pas la confondre avec l'autre, la BWV 565, beaucoup plus connue. Merveilleux, il n'y a pas d'autre mot, et le brouhaha constant de la cathédrale (des gens du monde entier vont et viennent partout, font des photos...) confère à la musique une dimension un peu particulière, mélange de sacré et de pas sacré du tout, personnellement j'y trouve mon compte, sans savoir au juste pourquoi, oui, les gens vous déclenchent de grands flashs en pleine figure, vous parlent dans le dos, on est plongé dans un immense bain d'Histoire, de choses grandioses en tous genres et autres conneries d'aujourd'hui, c'est au fond ce qu'on recherche dans ces circonstances, que surtout le monde continue de tourner autour de soi, bon s'il s'agissait d'écouter Daphnis et Chloé, je ne dis pas, mais cette Toccata et fugue... 

 

28 octobre 2012 

Mes travaux à l’eau sur papier datent maintenant de quelques années. J'utilisais de l'encre acrylique pour certains, de l'aquarelle pour d'autres. D'une façon générale, la peinture à l'eau est assez contraignante, à mes yeux du moins : même si les résultats obtenus peuvent parfois sembler satisfaisants, on garde confusément le sentiment d'avoir été dominé par l'eau. Ici, ma maison natale sur les hauteurs du Havre. J'ai d'abord pris une photo, un matin d'été, et je me suis rappelé les hivers des années cinquante, sibériens. Nous descendions cette rue Félix-Faure sur une luge. Je me demande où est accrochée cette aquarelle aujourd'hui. Et comment sont les gens qui la regardent. 

 

2 octobre 2012 

 

Le docteur B. ne me dira jamais : « Le plus dur dans mon cabinet est de devoir sans cesse réfréner les bêtises qui me passent par la tête, de devoir contenir, de jouer au psychiatre, et cette comédie m'oblige à me coucher à neuf heures du soir, m’envahit l'esprit, je pourrais parler de farce dérisoire, je me vois dans les dessins de Sempé, empêtré dans les poncifs de la psychanalyse. A chaque patient correspond un univers particulier dans lequel il faut entrer, auquel il faut coller aussitôt, ce passage est une folie. Une dizaine de patients par jour, sur huit heures. Si je n'en écoutais qu'un seul, même pendant huit heures, ce serait du gâteau. Une longue séance de huit heures, avec des pauses pour se restaurer, se dégourdir les jambes. Le médecin généraliste voit davantage de monde chaque jour, mais n'a aucun problème de ce genre. Le patient ne lui remet que son corps, et passer d'un furoncle à un coryza est tout de même moins... Le corps est un objet... J'ai beau avoir toujours sous le nez le dossier de mon patient, il m'arrive de me tromper dans les prénoms du mari, des enfants, des cousins ou de la grand-mère, d'inverser des dates. Il m'est arrivé de me faire reprendre parce qu'à la séance précédente j'avais oublié de noter que la mère avait plongé la tête de son fils dans une bassine d'eau à l'âge de cinq ans, et non à l'âge de quinze ans comme je le croyais. Voilà pourquoi le psychiatre parle si peu. Le but n'est pas de se taire, non, il est de ne pas se tromper. C'est la comédie : avoir l'air de savoir. N'écoutez pas mon mauvais esprit, Denis, je crois que j'ai une petite couche de crasse, vous savez, et je devrais faire un peu attention en vous parlant. » (mais non, mais non). 

 

25 septembre 2012 

Une Oldsmobile Toronado 1966 bleue. J’ai un peu rêvassé, à l'intérieur. Il y régnait une odeur agréable, pas tout à fait une odeur de vieux, mais quelque chose qui avait trait au passé, comme dans ces églises romanes que l’on visite l'été pour y trouver de la fraîcheur, et une mystérieuse tranquillité. Je me suis laissé tomber sur la banquette. Il y avait un livre dans la boîte à gants, dont j'ai lu quelques pages à voix basse : la description d'une journée pluvieuse et d'une noce dans une ancienne abbaye normande entourée d'un bois. Et lorsque je roulais plus tard sur le front de mer, vers Juan, j'avais les pensées pleines de ce bois humide. Je me suis arrêté le long de la Pinède, à l'ombre. Il était midi. Personne autour de la piscine. Aucun bruit. J’étais sur cette immense banquette, étendu de tout mon long. La solitude de ce lieu m'emplissait de vieux songes. J'ai réglé le rétroviseur de manière à voir le ciel sans me contorsionner. Dans cette ombre, je distinguais le haut noir des arbres, qui me tournaient le dos. Ils s'étaient fait de longues tresses pendant que je roulais. 

 

18 septembre 2012 

 

Un manuscrit très court (une phrase) attribué à Anaïs Nin vient d’être adjugé 91.000 dollars : "Vostre verge elle es belle, nom d'une pipe, mignon, je la veux". Christie's justifie sa décision de mettre en vente ce texte sublime écrit par la romancière aux deux prix Nobel, en le décrivant comme l'une des plus belles proses du monde. Dans une salle bondée, plus de cent manuscrits de toutes origines sont également en vente, dont un attribué au père d'Anaïs Nin (vendu 82 dollars avec la commission du vendeur). Celui d’Anaïs Nin, lot 63, a été disputé entre des enchérisseurs au téléphone, sur internet, dans les coulisses et dans la salle. Le gagnant est dans les coulisses où, au début du rêve, je me trouve moi-même. Ce gagnant, un petit homme à lunettes, est immédiatement protégé des journalistes par le personnel de manutention. "Il a enchéri pour le compte d'une danseuse balinaise", lance un porte-parole de Christie's aux journalistes. Juste avant de me réveiller, je sors de chez Christie’s et je marche sur le trottoir de l’avenue Matignon en compagnie d’une personne que je crois être Anaïs Nin, elle essaye de me semer en tournant autour de moi. Je m’aperçois qu’il s’agit de son père. Il s'éloigne là-bas, me fait un petit signe d’adieu... 

 

24 août 2012 

 

Je participe comme invité à une émission de télévision ou de radio, c'est du moins l'impression que j'ai : mais aucune caméra, aucun micro, aucun technicien, pas de décor particulier, le lieu s'apparente à un amphithéâtre, et nous sommes des centaines à nous trouver là pour ce que la personne debout sur l'estrade appelle un « direct ». Cette personne est un homme en blanc au début du rêve, puis le même homme en jaune... De grands haut-parleurs diffusent le son très grave de la voix de cet homme, qui égrène des questions auxquelles les participants doivent répondre à tour de rôle. A mesure que je sens venir mon tour je m'aperçois avec soulagement que la seule réponse formulée par les gens qui m'entourent est : je ne sais pas. Lorsqu'enfin une question s'adresse à moi je réponds donc que je ne sais pas, les visages se tournent alors dans ma direction et l’on me sourit de toute part [suite incertaine]... Je suis parmi un groupe de gens au rez-de-chaussée de l'établissement, nous marchons à une allure rapide vers une salle où vont être annoncés les résultats d'audience de l’émission, tout le monde est vêtu de shorts et de chemises légères... Comme nous arrivons dans cette salle, l’annonce de résultats excellents déclenche une immense et joyeuse bousculade, au milieu de laquelle je finis par me trouver pressé contre mon frère aîné (je ne l’avais pas vu jusqu’alors), qui, tenant à la main un mètre ruban, tente de mesurer la distance exacte séparant mon œil droit de mon genou gauche, puis d’introduire du dégrippant WD-40 sans silicone dans mon oreille gauche (réveil). 

 

2 août 2012 

 

Bientôt quinze jours que je traîne dans les couloirs cossus de mon hôtel, que je cherche la sortie pour aller au moins à la plage, il paraît qu'elle est magnifique, une eau à vingt-neuf degrés, les gens croisés me parlent aussi d'une piscine quelque part entourée d'une palmeraie luxuriante, bon, et il paraît que la Floride est une région qui vaut le coup, gorgée de soleil, ses golfs, ses marinas, ses lotissements typiques, ses parcs d’attractions... De temps à autres je me pose un peu sur les canapés pour lire des nouvelles de Fitzgerald, et je ne vais pas tarder à attaquer le catalogue des tarifs du spa, dont j’étais apparemment très proche hier soir avant de succomber à la fatigue et de m’endormir par terre (840 dollars pour se faire frotter le ventre au ketchup). 

 

10 juillet 2012 

 

Aujourd'hui j'ai apporté chez le docteur B un dessin représentant Gandhi à la trompette, dessin qu’il a examiné avec beaucoup d'attention, en silence... Puis il a dit que c'était intéressant, que par ailleurs il voyait là autre chose que de l’art, peut-être une forme située aux confins de la pensée... Bon, je ne voyais pas ce qu'il voulait dire mais j'ai répondu que merci ça me touchait beaucoup, que je cherchais à échapper à mes attitudes compulsives en matière de sujets, que l'idée de Gandhi à la trompette me plaisait, qu'ainsi je rompais un peu avec mon "fond"... que j'avais peut-être trouvé un moyen de formuler différemment ma pensée, enfin que ce Gandhi à la trompette me plaisait quoi, que c'était évident... "Oui, poursuivait-il, c'est évident..." Et il me tendait la main droite au-dessus de son bureau, comme pour me dire au revoir. Je la lui serrais. Et nous demeurions un long moment silencieux. Alors, me dévisageant, il finissait par murmurer : "Bon, ça fera cent soixante euros". Et je quittais le cabinet en larmes. 

 

30 juin 2012 

 

Emil Cioran avait apporté un déguisement complet de Mickey Mouse, dont je n'enfilais que le masque, il me parlait en me tapotant le sommet du crâne avec un petit maillet en caoutchouc, la voix blanche, le ton monocorde, sans doute n'allait-il pas tarder à me dire que mes paupières était lourdes, que j'allais m'endormir à son signal... non, j'étais au contraire bien éveillé, et alors que j'aurais pu m'attendre de sa part à un discours sceptique et acerbe, la teneur en était au contraire proche d'un appel intérieur infantile, et je me glissais vers un état d'abandon délicieux... Il me disait soudain d'enfiler le déguisement en entier, c'était un ordre, je me levais, puis en criant nous nous tapions mutuellement à coups de coussins... Résonnait alors une petite clochette, indiquant la fin de cette séance. Et je quittais l’appartement de l’écrivain couvert de plumes car l'un des coussins avait explosé (les rêves tout de même). 

 

25 juin 2012 

 

Bonne semaine dans l'ensemble (12/20), à l'exception de dimanche : en me pavanant dans l'église russe de la rue Daru j'ai trébuché sur le bord d'une petite estrade, l'un des yaourts toujours présents dans mes poches intérieures a explosé, et le soir j’ai trempé mon sandwich au poulet dans du sirop d’érable (infecte). 

 

31 mai 2012 

 

Une galerie d’art occupe aujourd’hui le rez-de-chaussée et le premier étage de l’immeuble dont j’habitais justement un petit deux pièces de ce premier étage étant étudiant. Le porche n’a pas changé, à droite. Je pousse la porte située entre les deux vitrines, m’avance vers un escalier en colimaçon, monte. Là-haut, trois gros fauteuils verts entourent une table, au centre de la salle d’exposition. Je m’assieds pour réfléchir. Toutes les cloisons ont été abattues. Il m’est difficile maintenant de me situer dans mon petit deux pièces d’autrefois. Je me trouve sur l’emplacement de l’une de ces cloisons, entre ma chambre et la salle d’eau où je prenais d’interminables douches trop chaudes. Vous désirez quelque chose ? me demande un homme. Il vient d’en bas, m’a sans doute vu monter, me rejoint, se tient debout devant moi. Je l’interroge. Non, me répond-il, il n’a pas connu l’étage divisé en deux petits appartements, non, lorsqu’il a acheté, ce premier étage était l’appartement d’un homme d’affaires chilien, qui lui-même, croit-il, l’avait acheté à un couple de restaurateurs, et, comme nous parlons, je me lève, me retourne : mon gros fauteuil vert se trouve en réalité sur l’emplacement qu’occupait mon dressing, et non, comme je l’avais d’abord cru, à cheval sur la cloison qui séparait ma chambre de la salle de bain, mon erreur s’expliquant ainsi : je n’avais pas tenu compte de la place prise par les toilettes aujourd’hui supprimées. Vous avez des toilettes ? L’homme m’indique une porte au fond de la pièce, que j’ouvre rapidement pour jeter un coup d’œil et referme aussitôt (des toilettes en effet). Merci, lui dis-je, redescendant l’escalier en colimaçon. Une fois dehors sur le trottoir, me retournant, constatant qu’il m’observe perplexe depuis l’intérieur de sa galerie, je lui adresse un petit sourire (non mais c’est qui ce con ? pouvait-on lire chez lui). 

 

22 mai 2012 

 

Un lieu aéré, une clarté chaude répandue partout, à l'exception de la zone où se tient mon père, qui attend près d'une porte de verre, tenant à la main une pelle de chantier. Je m'éloigne doucement à reculons sans le quitter des yeux, deux ou trois pas encore et je serai bientôt assis en sécurité à l'intérieur de ce qui me semble être une cabine téléphonique, que je ne peux pas voir pour l'instant. Une distance suffisante me sépare à présent de lui, je m'assieds sur un parapet, à défaut de cette cabine téléphonique restée introuvable. Et puis tout se trouble : comme à travers une vitre embuée je le vois s'avancer vers moi, il est soudain si proche que je dois lever les yeux pour le regarder, son visage m'apparaît tel une masse de terre modelée qui me surplombe. Je me lève alors horrifié : il gît au sol. Je me sens coupable. Une terreur s'empare de moi. La suite semblerait constituer un autre rêve s'il n'y avait ce détail : je garde le souvenir d'un meurtre au cours duquel j'étais guidé par un sentiment de solennité, par un esprit qui me comprenait (contradiction avec la terreur ressentie devant le corps étendu au sol, terreur qui explique un demi réveil). Au plus loin que porte désormais mon regard c'est une pinède que je rencontre, où je me revois courir autrefois en compagnie de mon père, dans un passé heureux, lointain, un tapis d'aiguilles de pin s'étend à perte de vue, j'éprouve jusqu'aux larmes la nostalgie de l'époque où j'existais dans cette pinède avec lui. Je me souviens qu'ensemble nous attendions la nuit, couchés sur du sable encore tiède, en silence, qu'à l'arrivée des premières étoiles nous sentions le soleil, la mer, le vent présents sur nous, que cela se manifestait chez lui par une coloration inhabituelle de la peau et l'apparition de particules brillantes. 

 

15 mai 2012 

 

Le docteur B. allait et venait dans le couloir au gré de deux patients, leur conversation me parvenait par bribes, un assez grand calme régnait dans le cabinet. L'un des deux patients est venu s'asseoir avec moi dans la salle d'attente : cheveux noirs, demeuré proche de l'adolescence, pourvu d'une harmonie générale un peu molle, d'une expression à la fois cérémonieuse et perdue. "Il n'y a pas de crapaud séché" m'a-t- il dit pour ainsi dire aussitôt. Bon. J'avisais alors un détail auquel je n'avais pas d'emblée accordé d'importance : il tenait un petit maillet de bois dans sa main gauche. Il s'est levé, a poussé une porte, je l'ai suivi, il s'avançait dans la pénombre, à tâtons, assenant des coups de maillet autour de lui. Je me suis immobilisé. J'étais entouré de formes reconnaissables que faisait luire le filet de lumière lâché du fond par la porte entrouverte. Les autres bavardaient là-bas. Nous nous tenions ainsi dans le noir, immobiles, silencieux. Un long instant a passé puis il a dit : "Remarquez, moi le chocolat j'aime bien ça." Il a ri, et j'ai entendu une longue série de coups de maillet sur un objet en métal. Nous étions tout proches l'un de l'autre maintenant, à se toucher. Mais après une dernière série de coups de maillet il m'a dit au revoir et il est parti, je l'ai entendu courir au loin en tapant partout, il me semblait que le bruit ne finirait jamais. Probablement pouvait-on comprendre cet homme. Moi, qui ne souffre que d’un léger trouble consistant à partager des vidéos de Jimi Hendrix sur Facebook, je ne l'ai pas pu (les gens tout de même). 

 

29 avril 2012 

 

L’Etude-Tableau numéro cinq opus trente-neuf de Sergueï Vassilievitch Rachmaninov est ma préférée, dis-je d’emblée au docteur B., ce qui pour une fois le laisse de marbre. Les piétons, me dit-il. Car nous sommes aujourd’hui installés, non pas comme d’habitude dans son cabinet, mais à la terrasse d’une brasserie de la rue du Vieux-Colombier. Je me contente donc de commenter le flot des piétons sur le trottoir. Il m'écoute en silence, une flûte de champagne devant lui, c'est extrêmement dépaysant. Il commande finalement un mille- feuilles et c'est moi qui devrai régler l'addition, il paraît que ce type de séance est répandu dans les grandes villes américaines, que cela se pratique dans de grands restaurants à quatre cent dollars pour deux, je n'en suis pas encore là, trente-huit euros quand même et je ne consomme qu'un café (mais nous restons presque une heure ensemble). Détail : comme je m'avise de porter un jugement sur l'atmosphère un peu morne qui règne aux deux tables qui se trouvent en bordure de terrasse entre nous et le trottoir, aussitôt il m'interrompt d'un ton glacial : "Les piétons seulement". 

 

22 avril 2012 

 

De tous les personnages de l’Antiquité, Diogène est le plus absent de ma peinture, pardon à lui, donc. Absence palpable, cependant. Absence obsédante, merde ! 

 

3 avril 2012 

 

C'était un soir de mon enfance, l'été, sur la plage. A quelque distance de moi (je ne pouvais pas comprendre ce qu'il se disait), un homme adressait à ma mère quelques mots, lui tendant un objet. Je me rapprochais un peu. Elle faisait non de la tête. Des deux mains, elle accomplit même un signe de refus, ajouta que non, vraiment, merci, elle sortait de table, avant de se tourner dans ma direction et de me demander si je voulais un beignet, moi. Non, merci, pareil. L'homme (il avait une plaque brune et velue sur le front) me prit à part et m’expliqua d’un drôle d'air comment on appelait ces beignets, m’en énuméra les ingrédients. Parfois, les dattes sont mal dénoyautées, il faut se méfier, me dit-il (je me demandais si cette plaque était molle ou dure). Sa conversation, ensuite, sembla ne jamais devoir tarir lorsqu’il entreprit un monologue : il avait connu le grand-père de ma mère, auprès de qui il s’était illustré avant l’indépendance (quelle indépendance?) en qualité de conseiller. Il avait participé au commandement des forces françaises restées là- bas, été blessé lors d’une attaque ennemie, et, après l’évacuation de la base, lui et sa femme étaient rentrés en France, puis revenus s’installer ici des années plus tard, à la retraite (je ne comprenais plus rien). La pauvre nous a quittés, me dit-il et, désignant du doigt la dame d’un certain âge qui l’accompagnait, il m’avoua s’être remarié (ce qui me chagrinait, au fond, c’était la question de savoir pourquoi ma mère m’abandonnait lâchement pour parler avec les autres, là-bas). 

 

27 mars 2012 

 

Rêve. Bien qu’ayant l’apparence exacte de Duke Ellington, l’homme qui entre dans mon atelier se présente sous le nom de duc de Lautréamont, et s’avance comme s’il était déjà venu dans cet atelier, comme s’il y avait ses habitudes. Je lui montre des toiles, certaines, pas toutes, qu’il examine sans parler, en se passant la main droite dans les cheveux. Je remarque qu’il porte dans le dos un petit piano, comme un sac à dos. Je me demande s’il parle de moi aux musiciens de son orchestre, je pense que oui, une phrase furtive mêlée à la conversation, une phrase qu’aucun n’a entendue. Mais peut- être que cette idée de venir à mon atelier lui a été conseillée par Johnny Hodges, un quart d'heure auparavant, peut-être qu'il a cédé à une impulsion soudaine de son saxophoniste, c'est très possible. Après tout je ne connais rien de lui, il est un étranger. Je m’aperçois que je ne l’ai jamais vu debout, comme je le vois à l'instant, de loin. Dans ma mémoire, soit il est assis à son piano, soit il me précède dans le noir, à un mètre, et marchant vite. Je m’approche du mur, et me place à côté de lui. Je suis si près de lui que nos épaules s'effleurent. Je m’approche encore, jusqu'à obtenir un contact franc entre nous, entre nos épaules. Il ne fait rien pour l'empêcher. Il me dévisage. Et si je lui demandais de jouer du piano, oui, tout d'un coup. Il est peut-être venu pour ça. Il doit en avoir envie. Oui, c'est ça, il est venu pour me jouer Solitude, un désir brûlant l’anime. Mais non, il s’avance vers la pénombre du fond de l'atelier et s’assied sur une chaise, là, seul. Je l'entends se parler à lui-même. Les phrases m'arrivent par bribes. Puis il se tait. Plus tard, il pousse une porte de cave (qui n’existe pas dans la réalité). Je le suis. La pénombre et l'odeur de ce bric-à-brac l'attirent. Il s’assied sur le bras d’un vieux fauteuil club qui perd ses plumes. La porte du fond laisse passer un filet de lumière, qui fait luire les formes autour de nous. « Notre dernier concert m'a étonné, Denis, je voulais vous le dire... ce riff en la mineur, toute cette nostalgie... Je me suis dit que vous forciez votre nature. Vous la forciez, n'est-ce pas ? » Il consulte sa montre. Il ouvre son petit piano (comme un sac), en sort un flacon de vieux cognac et, du bout des doigts, dépose quelques gouttes sur le dessus de ma main droite. Et je me réveille avec l’impression inédite que ce rêve s’est étalé sur plusieurs nuits depuis mon enfance. 

 

22 mars 2012 

 

Au fond, je crois que ma recette de chamallows fourrés à l'anchois est une impasse, peut-être vais-je devoir abandonner la partie, je ne sais pas... Remplacer l'anchois par du jambon de pays? non, je n'y crois pas... Je suis conscient de l'enjeu, et je repense à mes chimpanzés flambés à l'armagnac, ou à mes grenouilles écrasées dans le chocolat, quelles réussites! Mais je garde espoir, et de toute façon je ne renonce pas à mes cookies aux lardons. 

 

12 mars 2012 

 

Plusieurs rêves du même genre, la nuit dernière. J'arrive comme un intrus et personne ne s'occupe de moi. Il y a une grande salle de réception formée de deux ailes, dont l’une est plongée dans un clair-obscur qui fait penser à une église. Les gens parlent à mi-voix, debout. Des dames en robe noire et tablier blanc circulent entre eux avec des plateaux, on se faufile dans un dédale de meubles marquetés, de divans, de fauteuils à médaillon, on foule des tapis anciens immenses, on respire des odeurs de cire et de feu d'herbe. Une espèce de meuble énorme entouré de végétation est placé au centre d'une salle comme un kiosque à musique, on se croirait dans un jardin public : des volutes de grosses palmes y sont maintenues par des fils de nylon dans des positions agréables à l'oeil. J'arrive dans cette salle, je cherche des endroits solitaires, je vais m'asseoir à l'écart sur des bergères profondes. On entend le bruissement des arbres d’un parc par les fenêtres entrouvertes. Au début de ces moments-là je me sens bien, mais j'ai vite l'impression de contrevenir à un protocole. Pour m’apercevoir, finalement, que toutes les personnes présentes dans ces salles sont chacune assises dans une auto-tamponneuse individuelle portant la marque Apple sur le capot avant. Elles circulent lentement, sans s’entrechoquer. Alors, la bergère sur laquelle je suis assis se révèle être en réalité une auto-tamponneuse, elle aussi. Mais de marque Fleury Michon. 

 

28 février 2012 

 

Dans ce rêve, je m'introduis par effraction dans le cabinet du docteur B. et je fouille son bureau. Les deux tiroirs de droite sont équipés de classeurs. Je découvre les dossiers, d’épaisseurs inégales, suspendus par ordre alphabétique, les noms clairement inscrits sur la tranche. Je trouve le mien au fond du tiroir supérieur. C'est le dossier le plus mince. Je l’ouvre devant moi, sur le bureau. Seulement trois feuilles numérotées, couvertes de notes éparses, brouillonnes, nerveuses, la plupart très brèves, que je lis jusqu'au bout. Aucune allusion à une quelconque thérapie. Ces mots et bouts de phrases concernent ma seule apparence physique : mes vêtements, le teint de mon visage, l’état de mes chaussures, de mes mains, la propreté de mes cheveux... J'ouvre un autre dossier, très épais : Lise Pontaux, quarante-deux ans, mariée, trois enfants, domiciliée 87 rue Saint-Dominique, etc. Le début de la cure ne remonte pourtant qu'à moins de deux mois, mais ce dossier comporte une soixantaine de feuilles numérotées, des dizaines photos, des coupures de journaux, une grande pochette remplie de cartes postales de la région de Biarritz, plusieurs reproductions de La ronde de nuit de Rembrandt, et des dessins à la sanguine représentant le visage d’une même fillette. Je consulte d’autres dossiers. Tous comportent là encore des éléments nombreux et variés, qui s’ajoutent toujours aux mêmes feuilles volantes sur lesquelles le docteur B. consigne ses notes. Ces dossiers, je les compte : cent trente-sept. Je referme les deux tiroirs et range la clé dans une boîte ronde de bonbons La Vosgienne. 

 

4 février 2012 

 

Rêve. Je suis avec un dénommé Montieux devant une fresque ancienne, sans doute du 16ème siècle. Un homme âgé se joint à nous et dit à ce Montieux que je suis peintre. Où travaillez- vous ? me demande l'homme âgé, se dirigeant vers un autre endroit de cet espace indéfini. Je lui emboîte le pas, le gratifie d’un sourire. Il finit par me demander si je suis à Paris, à quoi je réponds oui. Cela paraît le satisfaire. Nous pénétrons dans son atelier, une salle au plafond très haut, encombrée d’une quantité de choses en tous genres, où je retrouve Montieux (que je croyais avoir laissé derrière moi), assis en compagnie de plusieurs personnes qu’il semble connaître et à qui je suis présenté. Le peintre que je suis attire sur lui des questions (auxquelles je fais des réponses évasives). Vous voyez quoi, là ? me demande un homme, qui désigne une toile signée Matisse dont le style n’a rien à voir avec le vrai Matisse (dans le rêve cela n'a aucune importance). Du mimosa, me souffle Montieux en me posant la main sur l'épaule. Du mimosa, je répète à cet homme. Ah bon ? me fait-il. Vous, qu’est-ce que vous aviez vu ? je lui demande, mais il n’a pas encore vu grand-chose si j’en juge par l’expression de son visage (qui s’anime ensuite). Il déclare voir un personnage avec une moustache. Ah pas du tout, moi, je conclus, et je sors sur un balcon, d’où l’on voit quelques mètres en contrebas les rails d'un funiculaire, et plus bas la plage des Mimosas, c'est du moins ce qu'on me souffle à l'oreille... 

 

7 janvier 2012 

 

Tout à l'heure dans le Bois, une femme sort de sa voiture avec une chose dans les bras, un petit chien beige de type jeune molosse qui, m'apercevant, saute à terre, aboie et je me vois déjà aux urgences de l'hôpital Ambroise Paré. Jason, Jason, Jason, dit la femme, immobile (elle s’adresse à l’animal, lequel bave sur mes jambes, ouf). Come here, come here, finit-elle par dire. Elle se dirige vers moi, récupère l’animal d’un geste du bras, les jambes fléchies, lui dit en anglais que la prochaine fois ça irait mal pour lui, et, toujours en anglais, à moi, qu’elle est terriblement navrée. Never mind, dis-je pour utiliser mon peu d'anglais scolaire, pensant putain vous faites chier merde. 

 

Samedi 31 décembre 2011

 

Dans ce rêve, j’avais volé une trousse de toilette aux Galeries Lafayette. Un juge m’introduisait dans un bureau et m’expliquait comment allait se dérouler la reconstitution. Il n’obtint aucune réponse lorsqu’il me demanda de reconnaître les faits. On m’installa entre deux messieurs à l’arrière d’une voiture et nous roulions lentement jusqu’au magasin du boulevard Haussmann. 

Il y avait une foule, à qui le cordon de police intima l’ordre de se calmer, et le juge s’avança vers l’entrée du magasin, l’ouvrit avec une clé que lui tendait la greffière, fit entrer les gens un à un en les dévisageant, puis ordonna que la porte fût aussitôt refermée sur la foule, que nous continuâmes à entendre. Il me fit retirer les menottes et entourer de deux policiers. 

Vous niez toujours les faits ? me lança-t-il. Je répondis que oui, d’un mouvement de la tête. Il appela auprès de lui un tout jeune policier en uniforme, informa celui-ci de la tâche qui allait lui incomber : accomplir à ma place les gestes que lui indiqueraient les témoins. Un autre policier s’affairait autour d’une fausse trousse de toilette en plastique aux formes stylisées, il l’installait sur un comptoir au bout duquel je me tenais, pendant qu’à leur tour chaque témoin se tenait à une place que la greffière notait. Cela me paraissait durer un siècle. 

Mesdames et messieurs s’il vous plaît, s’exclama le juge. Il annonça le premier témoin : M. Saint-Gray, là, debout à côté de lui, dont il tenait l’épaule. Il y eut entre eux deux un conciliabule d’abord, puis, sur les indications de M. Saint- Gray, le jeune policier chargé d’accomplir les gestes à ma place alla se poster à une vingtaine de mètres. Allez-y, lui dit le juge, et le jeune policier bondit à grandes enjambées, surgit un revolver à la main (bricolage en polystyrène), se rua sur la trousse de toilette, l’empoigna en collant l’arme dessus et sortit avec elle sur le trottoir, où il s’immobilisa enfin, se tourna dans notre direction, dut se pencher pour nous apercevoir à une vingtaine de mètres dans la pénombre du magasin. M. Saint-Gray, lui, calmement (il avait regagné sans attendre sa place autour du comptoir), dit que non, de sa place il n’avait pas pu voir ce qu’il s’était passé dehors sur le trottoir, que ça avait été trop rapide.

Bon, conclut le juge, et il se tour 

 

Mercredi 21 décembre 2011

 

Visite d'un appartement, aujourd'hui, comme ça pour rien, passant pour un possible acquéreur. Nous montâmes, ce monsieur de l'agence propre sur lui et moi. Au séjour, je m’approchai du téléviseur, la télécommande à la main, l’allumai, changeai de chaîne, les essayai toutes. Ces gens n’avaient pas Canal Plus. Ils regardent beaucoup la télé ? demandai-je. Je l'ignore, dit-il, intéressé toutefois par ce que je regardais (une connerie). Puis j'avais traversé la salle de réception, la salle à manger, et tentais à présent de voir par le passe-plat ce qu’il y avait à la cuisine. Je fis le tour, y entrai (l'autre me suivait), examinai la pièce d’un seul regard, fixai un instant les deux éviers et la paillasse en inox, fis remarquer que tout était d’une grande propreté. Rien ne traînait, non, aucun bol, aucun couvert, aucune miette (l’employée de maison avait dû passer la matinée ici et les gens manger dehors), seulement une assiette où décongelaient trois tourtes aux champignons, déjà molles visiblement, que je touchai, elles étaient molles, oui (les gens tout de même). 

 

Mercredi 14 décembre 2011

 

Dans ce rêve, Harpo Marx allumait une cigarette, se laissait tomber en arrière, aspirait une bouffée le regard dans le vague, lâchait la fumée sans la souffler, très sybarite, semblait réfléchir à ce qu’il allait dire, la tête sur une main, ne disait rien en définitive, fermait les yeux comme je passais sur son crâne le dos de ma main, mon bras, qui glissaient sur ses cheveux, provoquant un son de harpe (il s’était maintenant retourné et voulait que je lui masse le dos là). Je me plaçais à califourchon sur le haut de ses cuisses. Je lui frottais le dos là, suivant à la lettre les indications qu’il tentait en gémissant de me faire parvenir le visage en partie enfoui dans l’oreiller, sa cigarette à la main (pas là, disait-il, pas là, pas là). Aïe, s’écriait-il. Mais une musique de harpe émanait de lui, dont je ne me sentais pas l'auteur... 

 

Jeudi 24 novembre 2011

 

J'ai une nouvelle fois cessé de prendre mon magnésium, depuis une semaine, sans doute inconsciemment pour vérifier à nouveau son efficacité, et le résultat c'est qu'en effet sans cette molécule je suis tout juste bon à marcher dans les bois, je ne la fixe pas, chacun ses spécialités, je ne suis décidément pas autonome en matière de magnésium, je crois toujours l'être, mais non, et je ne le suis d'ailleurs pas non plus en matière de pyjama, je dois régulièrement me réapprovisionner, il faut être humble sur ces questions. 

 

Mercredi 16 novembre 2011

 

J’écris, lui dis-je. D'une serviette posée sur les genoux j'extrais un manuscrit, dont je lui tends les deux premières pages, qu’elle saisit, se penchant vers moi. Ces pages, elle semble leur manifester un certain intérêt, relève les yeux enfin et me regarde, comme une tristesse affleurant autour de sa bouche, mais il s’agit peut-être d’une apparence. Tandis qu’elle s’éloigne, alors, dans la salle, se dirige vers les fenêtres, s’adosse à l’une d’entre elles, et me regarde, je referme ma serviette et me lève, coiffe un bonnet. Je la précède dans un escalier. Il se remet à neiger, dis-je, parvenu en bas. A travers une vitrine, en effet, nous le constatons ensemble maman et moi, côte à côte, des flocons descendent à ce point lentement dans l’immobilité de l’air qu’ils semblent ne jamais devoir atteindre le sol. Oui, dit-elle. Elle contracte ses épaules, s’enserre le torse de ses deux bras. Elle a de très beaux cheveux [... suite incertaine, réveil en nage]. 

 

Jeudi 10 novembre 2011

 

Aujourd'hui j'ai apporté chez le docteur B. une toile sur laquelle j'avais collé un photo de lui. Il l'a examinée avec beaucoup d'attention, en silence... Puis il a dit que c'était intéressant, que par ailleurs il voyait là autre chose que de la peinture, peut-être une forme située aux confins de la pensée... Bon, je ne voyais pas ce qu'il voulait dire, mais j'ai répondu que merci ça me touchait beaucoup, que je cherchais à échapper à mes attitudes compulsives en matière de sujets, que l'idée de ce portrait me plaisait, qu'ainsi je rompais un peu avec ma peinture... que j'avais peut-être trouvé un moyen de formuler différemment ma pensée, enfin que ce portrait me plaisait quoi, que c'était évident... "Oui, poursuivait-il, c'est évident..." Il me tendait la main droite au-dessus de son bureau, comme pour me dire au revoir. Je la lui serrais. Et nous demeurions un long moment silencieux. Alors, me dévisageant, il finissait par murmurer : "... Et ça fera cent soixante euros" (les gens tout de même). 

 

Samedi 8 octobre 2011

 

Ce matin, j'ai acheté de la robinetterie dans une petite quincaillerie de l'avenue Mozart, environ 40kg, aussitôt abandonnée sur le trottoir devant la boutique. Ce trouble obsessionnel compulsif est me dit-on exceptionnel chez les artistes, surtout répandu dans le sport, tennis notamment, et dans le transport aérien. J'ai lu que Roger Federer consacrerait un tiers de ses revenus à l'achat de robinetteries diverses (environ quatre mille tonnes par an), que dans les années soixante certaines hôtesses de compagnies américaines aujourd'hui disparues allaient jusqu'à dilapider ainsi les trois quarts de leur salaire. Les artistes, non, ne sont semble-t-il pas affectés par ce genre de troubles, en tous cas pas ceux que je connais. Je serais une exception, mais aucune étude à ma connaissance n'a été faite à ce sujet (à creuser quand même). 

 

Dimanche 2 octobre 2011

 

Sans doute pour être plus proche de moi, le docteur B. me parle souvent de couleurs, procède par analogie à la couleur, et cela me crispe, je n'ose pas lui dire. Mais vendredi il m'a dit : Supposons qu'une personne soit faite de quatre couleurs, supposons que nous répondions intensément à une couleur en elle, le timbre de sa voix ou l'expression de son regard, nous continuerons à répondre à cette couleur particulière plutôt qu'à une palette de la personnalité entière, nous avons une réponse continue à des fragments... Bien. Il est gentil d'employer ce nous, je devine qu'il s'adresse bel et bien à moi. Le fait est que seule l'analyse explorera mes réponses automatiques et modifiera mon circuit réduit, en révèlera le caractère mécanique, en ouvrira tous les circuits pour inclure une vision totale de l'autre, m'ouvrira complètement à de nouvelles impressions, à une réceptivité totale. J'ai tout de même une sacrée bonne volonté, merde, non?

 

Lundi 26 septembre 2011

 

Au cours de ma petite enfance, un incident a détruit ma confiance en moi. Ma nourrice était la personne que j'aimais le plus au monde, elle m’adorait, me choyait, confectionnait tout le temps des Paris-Brest à la béchamel, que je mangeais avec grand plaisir. Mais elle a quitté la maison pour se marier. Je l’ai alors effacée de ma mémoire, je ne voulais plus qu’on prononce son nom. Et je refusais désormais de manger de la béchamel. Récemment, au début du mois de septembre, en traversant les jardins du Trocadéro, j’ai vu une dame donner un Paris-Brest à un petit garçon, spectacle qui me remettait en mémoire toutes les circonstances de l’incident, me remplissait de joie et me soulageait d’un grand poids secret. Cependant, le docteur B. rend aujourd’hui cet abandon d’autrefois responsable de ma répugnance pour la béchamel. 

 

Mercredi 14 septembre 2011

 

Parpaillot. C'est drôle comme ce mot ressort tout d'un coup, voilà peut-être vingt ans que je ne l'ai plus prononcé ni écrit, c'est une autre vie, j'ai quitté ces mots de mon éducation, de mon enfance, et tout d'un coup celui-ci refait surface. C'est étrange. Parpaillot vient du mot occitan parpailhol qui signifie papillon : les habits blancs des calvinistes évoquaient un peu les papillons. Ces premières colonies de calvinistes vivaient dans le sud de la France, leurs petites silhouettes blanches qui folâtraient dans la campagne évoquaient des papillons aux habitants du cru (les gens tout de même). 

 

Dimanche 11 septembre 2011

 

Désoeuvrement total aujourd'hui. Pluie sur Paris. Finalement, j'éteins la télévision pour lire un recueil d'allocutions de Vincent Auriol. J'adore celle prononcée le 22 février 1951 devant les élus locaux du Finistère à l'occasion du Mardi- Gras. 

 

Mardi 5 juillet 2011

 

Extrait de Journal du dehors d'Annie Ernaux : "A l'hypermarché Leclerc, au milieu des courses, j'entends Voyage. Je me demande si mon émotion, mon plaisir, cette angoisse que la chanson finisse, ont quelque chose de commun avec l'impression violente que m'ont faite des livres comme Le bel été de Pavese, ou Sanctuaire. L'émotion provoquée par la chanson de Desireless est aiguë, presque douloureuse, une insatisfaction que la répétition ne comble pas (autrefois j'écoutais un disque trois, cinq, dix fois de suite, attendant une chose qui n'arrivait jamais). Il y a plus de délivrance dans un livre, d'échapée, de résolution du désir. On ne sort pas du désir dans la chanson (où les paroles comptent très peu, seule la mélodie, ainsi je ne comprenais rien des Platters, des Beatles). Ni lieux, ni scènes, ni personnes, rien que soi-même et son désir. Pourtant, c'est cette brutalité et cette pauvreté qui me permettent, peut-être, de faire affluer toute une période de ma vie et la fille que j'étais en entendant, trente ans après, I'm just another dancing partner. Alors que la richesse et la beauté du Bel été, de la Recherche du temps perdu, relus deux fois, ne me redonnent jamais ma vie." 

 

Samedi 28 mai 2011

Rêve : Maman et moi marchons sur une plage, vêtus de manteaux. Un homme prétendant être Maurice Ravel s'avance vers nous et tente de nous mettre de la purée de pommes de terre dans les oreilles. Quand l'homme s'éloigne, maman dit :"Vous n'êtes pas Maurice Ravel". Alors nous entrons dans l'eau tout habillés. Les premières mesures du Prélude à l'après-midi d'un faune résonnent dans le lointain, quelques notes de flûte... [suite incertaine]. Elle et moi observons ses sandales jaune et orange posées sur la sable de la plage. Nous savons que si l'homme avait été Maurice Ravel il n'aurait pas cherché à nous convaincre avec de la purée de pommes de terre. Cette certitude nous remplit d'un profond sentiment de respect pour Maurice Ravel.

 

Vendredi 6 mai 2011

 

Afin de ne pas accumuler trop de fatigue au cours des périodes qui précèdent les vacances d'été, j'élimine certaines activités, je fais en quelque sorte des impasses, que j'essaye de doser judicieusement, tâche délicate dont je me suis acquitté avec plus ou moins de bonheur dans le passé. Cesser par exemple de travailler pendant les quatre mois qui précédaient un départ en vacances était excessif et me conduisait à annuler ces vacances faute d'argent. Non, cette année, en prévision de mes vacances au mois d'août, j'ai simplement refusé de manger des pinces de homards depuis début avril, et d'acheter mes tickets de métro dans les distributeurs automatiques. Et depuis dix jours je ne cire plus mes chaussures. 

 

Mardi 19 avril 2011

 

Je ne pourrais pas voter pour un candidat qui aurait une grosse moustache, allez savoir pourquoi... Pas plus que je ne pourrais voter pour un candidat qui ferait souvent référence à l'idée de "manteau"... Quant à celui qui ne saurait pas comment on prononce le nom "Vaughan" et qui ne repasserait que le devant de ses chemises, alors là, encore moins, c'est clair! 

Vue-sur-TE-soir.jpg
Tombe-de-Debussy.jpg
Sur-les-toits.jpg
Sur-le-bord-de-la-piscine.jpg
Noces-de-Cana.jpg
Mere.jpg
Maison-du-Havre.jpg
Homme-a-l-interieur-toile.jpg
Duo-vue-sur-NY.jpg
Debout-piscine.jpg
Au-cafe.jpg
A-la-Kockney.jpg
Au-piano.jpg
TE-Dans-les-nuages.jpg
Vue-sur-mer.jpg
Cimetiere.jpg
5-hommes.jpg

Lundi 11 avril 2011

 

Pourquoi ces deux séquences, ces deux moitiés? Je n'ai pas de réponse satisfaisante, il va pourtant bien falloir que j'en trouve une et que je réponde à la question qu'on me posera inévitablement. Bien sûr, je peux toujours prétendre avoir voulu représenter Maurice Ravel partagé entre son désir de rester lui-même et celui de vivre à New York et de devenir riche comme Gershwin. Non, ça ne m'a même pas effleuré. Je pourrais en revanche faire état d'une idée d'éternité, ou plus exactement d'un présent infini, non... enfin si, mais le personnage a envie de siroter un whisky, il va devoir aller à la cuisine chercher des glaçons, un verre, il y a tout de même un peu de contingence, et pour peu que sur le chemin il croise sa mère (qu'il héberge depuis trois semaines), ça va encore se terminer en palabres, non... Donc, pourquoi ces deux séquences? Je ne sais pas, Monsieur (les gens tout de même). 

 

Dimanche 3 avril 2011

 

Rêve : Je me tiens assis en face de Patrick Modiano. Des silhouettes se pressent autour de nous, et de grands bruits se font entendre, que je n'identifie pas. Les mains jointes, je le regarde, regrettant de n'être pas assis à ses côtés, mais c'est ainsi : je n'ai pas le droit de changer de place. Je lui adresse d'absurdes petits signes (jugés comme tels dans le rêve). Plus tard je suis contre lui, si près que nos têtes se touchent. Mais il se lève et tente d'assommer un homme avec un singe congelé qu'il tient par la queue, sans succès, assenant ses coups sur une plante verte dont les feuilles volent dans la pièce. Il me demande : "Vous voulez essayer?" 

 

Mardi 29 mars 2011

 

Depuis que j’ai cessé de voir mon addictologue j’ai acheté soixante-deux exemplaires du Journal de Kafka dans trente- sept librairies différentes, et tout un vieux fourbi ayant m'a-t- on dit appartenu à André Gide, dans lequel il y avait entre autres un clavier électronique et des slips kangourou récents, tant pis (une fois j'avais trouvé des lettres signées Jacques Anquetil dans un lot supposé avoir appartenu à Eugene O'Neill). 

 

Mardi 15 mars 2011

 

En sortant de l'atelier, hier soir, mon téléphone me signale l'arrivée d'un sms, que je m'empresse de lire : pressing chaussette. Numéro caché. C'est tout de même génial de recevoir des trucs comme ça, nom d'une pipe! Je me suis assis sur un banc du boulevard pour terminer le chapitre de mon livre, une vieille édition d'un des premiers romans de Modiano, puis, comme j'observais le petit écran de mon téléphone allumé sur ce message, je me suis dit que ces deux mots avaient peut-être un sens auquel je ne pensais pas, un second sens, que je devais trouver...Pressing chaussette? Je suis finalement entré dans le pressing qui est en bas de chez moi pour demander à la dame ce qu'elle en pensait, pas grand-chose apparemment, non, aucune chaussette au nom de Frémond (les gens tout de même). 

 

Mardi 8 mars 2011

 

Vous faites des portraits ? me demanda l'artiste (c'était son vernissage). Il me désigna deux portraits accrochés là, dont l'un représentait sa mère, et me dit que c'était son fils qui avait fait ça, que c'était joli cette sanguine, non ? Des portraits, non, je n'en fais pas, répondis-je. Vous devriez, dit- il, prenant son épouse à témoin. Celle-ci argua du fait que leur fils aîné, lui, donc, il en faisait des portraits, il avait beaucoup de talent comme portraitiste, il gagnait du reste sa vie grâce à ça comme étudiant à Zurich. Suivez-moi, me dit l'artiste (il voulait me montrer une chose), et je lui emboîtai le pas, le suivis jusqu’au fond d’une deuxième salle aux murs couverts de minuscules tableaux lourdement encadrés, que lui, son épouse et moi observâmes. J'avais dix-neuf ans, déclara-t-il, désignant le portrait d'un enfant, un pastel. Pour donner le change, je m'en approchai, l'air connaisseur, appréciai le rendu de la peau, des ombres, des reflets, de l'aspect soyeux des cheveux, me reculai même, un sourire sur les lèvres (ça devait lui faire rudement plaisir), allai jusqu'à observer le modèle lui-même, certes un peu vieilli, mais où l'enfant ne s'était pas encore tout à fait évaporé, il subsistait quelque chose dans le regard, une douceur, et une façon de baisser les paupières en vous souriant. 

 

Mardi 22 février 2011

 

Sur le Prélude et Fugue BWV 541, Bach s'est inspiré du blues, lui aussi, après un séjour à Chicago. Et il a juste ajouté quelques accords, je crois que c'est clair. Joie de vivre et jubilation. 

 

Vendredi 12 février 2011

 

Je me trouvais l’autre soir assis sur un banc des Jardins du Ranelagh. Deux policiers se tenaient immobiles un peu plus loin, au bord de la chaussée. Il faisait nuit. L'un d’eux est venu s'asseoir à mes côtés sur le banc : cheveux noirs, propre, demeuré proche de l'adolescence, pourvu d'une harmonie générale un peu molle, d'une expression à la fois cérémonieuse et perdue. "Il n'y a pas de crapaud séché", m'a- t-il dit pour ainsi dire aussitôt. Bon. J'avisais alors un détail auquel je n'avais pas d'emblée accordé d'importance : il tenait un petit maillet de bois dans sa main gauche. Il s'est levé, a tourné autour du banc, assenant des coups de maillet autour de lui. L’autre parlait dans un talkie-walkie, là-bas. Un long instant a passé puis mon jeune policier a dit : "Remarquez, moi le chocolat j'aime bien ça." Il a ri, et j'ai entendu une longue série de coups de maillet dans mon dos sur un objet en métal. Puis il m'a dit au revoir et il est parti, je l'ai vu courir au loin en tapant partout, il me semblait que le bruit ne finirait jamais. Probablement pouvait-on comprendre cet homme. Moi, je ne l'ai pas pu (les gens tout de même). 

 

Lundi 7 février 2011

Je voulais intituler ce tableau Mort de Sardanapale, mais après renseignements je me suis aperçu que le titre était déjà pris par Eugène Delacroix pour un grand tableau aujourd'hui accroché au Louvre et illustrant la légende de ce roi assyrien qui, assiégé par les insurgés, fera égorger ses femmes et ses chevaux avant de se tuer. J'ai donc choisi d'intituler le mien Silent serenade, simplement, puisqu'il n'avait de toute façon rien à voir avec cette légende. 

 

Mercredi 26 janvier 2011

 

Mon nouveau téléviseur Sony ne possède visiblement pas d'interrupteur général, impossible pour l'instant de l'éteindre complètement, il y a toujours un petit voyant allumé... Je ne suis pas idiot, je vais trouver... Bon, je ne trouve pas, mais je trouverai. 

Lundi 17 janvier 2011

 

Ma cure sms avec le docteur K. (débutée en septembre dernier) perdait de son essence ces derniers temps, perdait de son volume, les espaces entre nos sms s'étiraient. Plus rien depuis Noël. Aujourd'hui, je suis allé à son cabinet. La gouvernante me dit que le docteur est coincé dans la salle de bain, qu'elle attend le serrurier, mais que si je le souhaite je peux lui parler à travers la porte. Lui et moi parlons donc ainsi, chacun d'un côté de cette porte. Il me dit qu'il a écrit un livre sur le goût de Fidel Castro pour la marque Agnès B., qu'il y développe une thèse très novatrice selon laquelle Freud, s'il avait vécu à notre époque, se serait lui aussi beaucoup intéressé à cette marque. Après vingt minutes sur ce sujet, je finis par m'eclipser, convaincu que le docteur K. n'est pas coincé, qu'il veut me faire payer quelque chose (les gens tout de même). 

 

Mardi 11 janvier 2011

 

Rien n'est appuyé, le sujet n'est jamais là où on le pense, c'est bancal et maladroit en apparence, on en vient à douter que ça ait pu être pensé. Bonnard était d'une incroyable subtilité. 

 

Mercredi 29 décembre 2010

 

Ouvrir des huîtres est une activité salissante et génératrice de désordre, du moins si on souhaite le faire rapidement, car évidemment ouvrir une huître par jour ne pose aucun problème de désordre, c'est l'affaire de trente secondes rangement compris. En ouvrir deux cent cinquante nécessite l'utilisation d'une collection de torchons ou serpillères, de grands plats ou saladiers pour recevoir les huîtres ouvertes, de récipients pour les déchets, de gants de protection, de tabliers de rechange, d'instruments divers... bref, une logistique lourde qui explique pourquoi un réveillon n'est pas une fête comme les autres... Personnellement je préfère le premier mai, je trouve plus agréable de défiler en groupe dans la rue en brandissant des banderoles rigolotes sans risquer de se blesser à la main et de porter un pansement ridicule pendant des semaines. 

 

Vendredi 17 décembre 2010

 

Cet après-midi j'ai vidé des tubes de dentifrice dans une casserole, qui était trop petite, hélas, je n'ai pas pu y vider les cinquante tubes, j'ai dû presser les derniers au-dessus de la poubelle. 

 

Mardi 14 décembre 2010

 

Je viens de passer trois heures aux Galeries Lafayette. En dépit de conditions climatiques terribles j'y suis allé à pied, équipé de vêtements inappropriés, entre autres d'un petit boléro d'opossum (doublé sconse véritable) du plus bel effet, dont j'ai surtout regretté la coupe sans manches. N'étant finalement pas de nature très patiente j'errais à vrai dire, préférant les alentours du magasin, les espaces dégagés et sans témoin, m'en tenant à de la prospection (électroménager, quincaillerie...) Un type en rouge m'a proposé une séance de photos. Sympa. J'étais content de rentrer chez moi. 

 

Vendredi 26 novembre 2010

 

Nouvelle méthode de lecture rapide : un mot sur deux. Essayons sur les premières lignes de Proust : "Longtemps me couché bonne. Parfois peine bougie mes se si que n’avais le de dire : m’endors. une heure la qu’il temps chercher sommeil; je poser le que croyais encore les et ma; je pas en de des sur que venais lire, ces avaient un un particulier; me que moi-même dont l’ouvrage: église, quatuor, rivalité François et Charles". Bon. On comprend à peu près ce qu'on lit, et on va deux fois plus vite. Parfait. J'ai essayé avec un mot sur trois : on comprend encore le sens général. En revanche, avec seulement un mot sur quatre on ne comprend plus rien. Mais on va très vite. 

 

Mercredi 24 novembre 2010

 

Séminaire d'entreprise, l'autre soir, auquel on m'avait discrètement convié. J'avais apporté ma corne de brume, que j'ai utilisée au milieu d'un silence (appareil actionné sous mon fauteuil avec les pieds, dans la pénombre). Stupeur. Je faisais alors semblant de chercher comme tout le monde autour de moi l'origine de cette nuisance indescriptible. Sur la scène le président-directeur général s'interrompait et scrutait la salle, puis finissait par reprendre son topo par-dessus le brouhaha, qui lui-même s'éteignait doucement (les gens tout de même). 

 

Mardi 16 novembre 2010

Dans cette lumière d'automne je reste un moment immobile devant le monument des fusillés à réciter à voix haute le nom des types qu'on a tués à cette endroit le 16 août 1944 quelques jours seulement avant la Libération, il devait faire beau et chaud, on portait sûrement des chemisettes à manches courtes et puis hop, une balle dans la poitrine et c'est fini... on a vingt ans, on crève comme ça, on ne paressera plus jamais sur des îles de rêve pendant des semaines, nagera plus dans les eaux claires, fera plus le tour du lagon à mobylette en hurlant des crétineries, soupirera plus sur les bords du Grand Canyon, jouira plus de ne pas être à croupir dans le purin, hantera plus les suites de l'Hotel Pierre, dînera plus dans des bars panoramiques près du piano, sirotera plus du Porter ni du Gershwin jusqu'à l'aube avant de regagner ses appartements complètement éthérés tout juste capables d'embrasser le liftier et d'aligner deux citations de Proust, piétinera plus la neige de Central Park, soupera plus avec des clowns, verra plus des accidents de scooters au Metropolitan Opera... 

 

Dimanche 14 novembre 2010

 

J'entends la version de "The very thought of you" chantée par Nat King Cole qui, penché vers moi, chante en playback (la synchronisation labiale est absolument parfaite)... Il fait de grands gestes silencieux. 

Lundi 8 novembre 2010

 

Je m'interroge sur ce qui distingue le mot "espérance" du mot "espoir", et il me semble que le mot "espérance" contient l'idée de "confiance". Par exemple dans la phrase "j'espère que le prix Nobel me sera attribué" il s'agit seulement d'espoir, alors que dans la phrase "j'espère que le prix Nobel ne me sera pas attribué" il s'agit d'espérance. 

 

Jeudi 21 octobre 2010

 

Grand moment tout à l'heure à la fnac : achat de trente exemplaires de "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" de Pablo Neruda. Merveilleux. Bon. Si, comme j'en avais eu l'intention, je m'étais au préalable rendu chez Ralph Lauren pour acheter trente vestes en tweed, ça aurait fait trop d'émotion concentrée sur une seule journée. De toute façon j'avais traîné au lit ce matin et, le temps de marcher dans le Bois une heure, de me doucher, de déjeuner et de filer au pressing, il était déjà 5h passées. (Ne rien dire au docteur K.) 

 

Lundi 4 octobre 2010

 

Stan Getz m'émeut, c'est ainsi, son jeu m'atteint au plus profond, c'est pourquoi je me suis acheté un lot de trente saxophones ténors hier après-midi, que j'ai posés à côté de mon plan de travail, affectueusement... 

 

Mardi 14 septembre 2010

 

Chabrol, Godard, Truffaut, trois frères de jeunesse que l'Histoire séparera. Le premier se fourvoiera dans des histoires bibliques, le deuxième deviendra une gloire du cinéma commercial, le dernier finira dans le porno. Au départ, même aspiration à la révolution, même nécessité de tuer le père et fuir les impasses hollywoodiennes. Trois hommes unis et déchirés par leurs passions et leurs démons intérieurs. Trois hommes qui, selon leur génie propre et leur nature profonde, chercheront une alternative à la "story" classique. Mais ce seront les grandes biographies de Jésus pour Chabrol, les Sissi et les Angélique pour Godard et la symphonie du sexe pour Truffaut. Un bien beau gâchis. 

 

Mardi 7 septembre 2010

 

Première séance d'un nouveau type aujourd'hui avec le docteur K. Le travail se fait par sms. Reprise de la thérapie depuis le début. Ce matin, donc, nous avons eu lui et moi un long échange de sms au cours duquel il m'a dit découvrir quelque chose d'intéressant à mon sujet, sans m'en révéler la teneur exacte, m'expliquant simplement que ce qu'il aurait observé à mon contact direct eût été une chose, mais que ne plus entendre un lapsus, un mot sur lequel on trébuche, toute cette prosodie souterraine, cette ponctuation en contrepoint (enrouement, changement de timbre, voix étouffée ou non, croisement involontaire de jambes) en est une autre, bien différente, débarrassée du paraître, ou du "parlêtre" comme disait Lacan, nettoyée de beaucoup de théories à risque... Bien. Cette séance de ce matin m'a personnellement harassé mais procuré un certain bien-être, et je me doute que le docteur K. a dû en percevoir depuis chez lui certains effluves... je pense entre autres à un petit épisode de notre échange à la fin duquel, après être sorti fumer sur sa terrasse, il a écrit une longue tirade sur mon plaisir, le plaisir des mots. Nous avons alors à tour de rôle écrit des litanies de mots sur des thèmes qu'il imposait (média, sexe, architecture, vêtement), jeu auquel j'ai pris un curieux plaisir pendant près de deux heures, pour finir anarchiquement par des mots tels que boîte, vélo, confiture, etc... (les gens tout de même). 

 

Mardi 31 août 2010

 

Lever 15h44. C'est bon de traîner au lit. Petit-déjeuner rapide (omelette aux framboises), puis longue promenade dans le Bois en relisant mes recettes de cuisine. Au fond, je crois que ma recette de chamallows fourrés à l'anchois est une impasse, peut-être vais-je devoir abandonner la partie, je ne sais pas... Remplacer l'anchois par du jambon de pays? je n'y crois pas... Je suis conscient de l'enjeu, et je repense à mes chimpanzés flambés à l'armagnac, ou à mes grenouilles écrasées dans le chocolat, quelles réussites! Mais je garde espoir, et de toute manière je ne renonce pas à mes cookies aux lardons. Ah nom d'une pipe, cette exposition de novembre me met une pression atroce, et le thème-dessert "meringue à la hussarde" ne m'inspire pas, je préfère la joue de boeuf. J'aurais dû profiter de mes vacances en Grèce pour noter des idées, je n'ai que les pommes de terre à la sarladaise, ils font ça rudement bien là- bas. 

 

Vendredi 30 juillet 2010

 

Je me pose encore cette question de savoir pourquoi la musique de John Coltrane me laisse complètement froid alors qu'une seule note de Stan Getz me bouleverse. Et par ailleurs ça n'a sûrement aucun rapport avec ma préférence pour les mots commençant par la lettre "G", comme "gorgonzola" par exemple, ou même "georgette", un peu moins connoté. 

 

Jeudi 22 juillet 2010

 

Je suis inscrit sur Facebook depuis maintenant plus d'un an et je m'aperçois qu'il n'y a décidément pas de groupe qui m'intéresse, si, à la limite le groupe de ceux qui aiment le mot "manteau", mais il ne compte que 7 membres, donc pas terrible, et puis bon, on fait quoi une fois qu'on est inscrit dans un groupe? ... rien, on y est, c'est tout, remarquez c'est déjà énorme. J'hésite. Il y a le groupe de ceux qui n'utilise jamais le mot "déréliction" (237 membres), le groupe de ceux qui pensent que le mot "chantal" est démodé (3407 membres), le groupe de ceux qui gloussent en prononçant les mots "je baisse ma culotte" (75291 membres), le groupe de ceux qui auraient aimé connaître Albert Camus enfant sur une plage d'Alger et devenir son ami (1082 membres)... Tiens, je vais créer ce groupe : le groupe de ceux qui croient que Camus n'a jamais employé le mot "chantal". 

 

Mercredi 6 juillet 2010

 

Je n'ai pas toujours été peintre, pas toujours voulu l'être. L'enfant peu concentré, rêveur, folâtre, lisait la poésie en prose de Rilke, interrompait le cours d'histoire pour déclarer que jamais la guerre ne serait une discipline olympique, que Joséphine de Beauharnais se faisait flamber des chimpanzés à l'armagnac. Elève fantasque donc, aux interventions inopinées. Garçon subjectif. Je mènerais une brillante carrière de sentimental, peut-être hésiterais-je un temps avant de m'y résoudre, pencherais-je vers le music-hall, la peinture... 

 

Jeudi 1er juillet 2010

 

Suite de mes expériences destinées à améliorer la qualité de mon sommeil. Cette fois, une petite brochure trouvée chez mon pharmacien préconisait l'achat d'un kit composé d'un pantalon d'arlequin, d'une veste prince de galles, de chaussures de marche et d'un petit Sartre en latex, tiens tiens intéressant le Sartre! et livré dans les deux jours. Premier essai, avec seulement la veste prince de galles : aucun résultat, il fallait tout de même s'y attendre, pas grave, bon. Deuxième essai, et cette fois j'enfile la tenue complète : endormissement rapide mais réveil tout aussi rapide après environ trois minutes d'un sommeil émaillé de rêves pénibles, impossible de me rendormir, j'enlève les chaussures de marche censées me "mettre en fréquence basse", s'ensuit alors un épisode aigu d'hypothermie et de sudation. Troisième essai ce samedi (avec seulement sur moi le pantalon d'arlequin) : sensation qu'on essaie de me faire rire sous toutes sortes de prétextes, nuit hachée... Bref non. Il y aurait bien une autre solution, mais elle consiste à dormir nu et à pétrir toute la nuit le petit Sartre en latex (les gens tout de même). 

 

Vendredi 18 juin 2010

Aujourd'hui à l'atelier j'ai bêtement ouvert ma porte à un vendeur qui voulait me refourguer du bicarbonate de potassium, et éventuellement une cargaison de maillets ou un lot de jouets en bois. Il a conclu sur du "gravier". J'ai répondu qu'a priori ça ne m'intéressait pas, et j'ai ajouté qu'en tout cas je n'avais pas besoin de gravier. Il a alors insisté à propos du gravier. J'ai dit "ah oui du gravier, pourquoi pas, c'est bien le gravier". Il a paru interloqué. J'étais ensuite dans ma salle de bain pour nettoyer mes mains à l'essence, il m'avait suivi, j'ai dit "pourquoi êtes-vous venu exactement ?" Silence. "Donc euh..." a-t-il dit enfin, mais il ne poursuivait pas, et j'ai dit que j'étais en revanche intéressé par quelques pinceaux... Il m'a dit qu'il pouvait m'avoir des paillassons pour pas cher. J'ai lâché que oui bof, non, merci. Il s'est avancé vers moi, insistant : "Des paillassons". Oui, ai-je continué, je ne sais pas, faut voir. Je suis allé me savonner les mains à la cuisine, et c'est à la faveur de cet instant qu'il s'est éclipsé en silence. Il n'a pas pris l'ascenseur, j'ai entendu ses pas s'éloigner dans l'escalier (les gens tout de même). 

 

Mardi 14 juin 2010

 

Je me souviens qu'un soir de mon enfance maman se tenait en silence à côté de mon lit sur la chaise qu'elle approchait toujours au moment de la prière, et elle m'a posé une question : "Est-ce que tu aimerais que je t'achète une fausse gabardine en acier inoxydable?" C'est étrange comme ma mémoire a transporté ces mots-là plutôt que d'autres. Cette question, aujourd'hui encore elle m'intrigue, et si je me la rappelle c'est sans doute parce que ce soir-là déjà elle m'avait intrigué. Est- ce que j'y ai répondu? Peut-être. Un petit oui ou un petit non d'un enfant qui écoute sa mère. J'aimerais savoir. Et ce qu'elle-même en a dit. Une question qui intrigue un enfant est une question plus profonde que les autres. 

 

Mercredi 26 mai 2010

 

Maman lisait le psaume soixante-dix. Pour le dernier verset sa voix blanchissait : "Béni soit Dieu, qui n'a pas rejeté ma prière, et qui ne m'a pas retiré sa bonté". Je me taisais, je notais au contraire le rejet complet des prières : je venais de me faire voler mon solex. Et l'un des versets précédents disait que si nous avions conçu l'iniquité dans notre coeur Dieu ne nous aurait pas exaucés. Alors... maman voyait-elle un exaucement dans la perte de mon solex? Non, j'étais confiant, tout venait de ce qu'un détail m'échappait. Elle me disait que la foi ne devait pas se nourrir des joies de l'exaucement, et j'étais perdu dans son raisonnement, moi j'estimais qu''elle le pouvait, la foi, se nourrir des joies de l'exaucement, je le lui disais sans insister, pour ne pas la froisser. Elle ajoutait des tiroirs à sa pensée. Je ne parvenais jamais à réfléchir sur ces sujets. Quand on a retrouvé mon solex, sans les roues et sans le moteur, j'ai pleuré, elle m'a dit qu'il fallait comparer la foi à un vase, plus large et profond serait ce vase, plus nombreuses seraient les richesses attirées en nous par la prière, par la prière nous donnions à Dieu le glaive qu'il utiliserait pour combattre et triompher à notre place, nous devions hisser nos desseins vers les siens et non attendre l'inverse. Bon, mais je perdais toujours le fil de ces explications, même si confusément je savais que je n'avais pas assez prié pour retrouver aussi les roues et le moteur. 

 

Jeudi 6 mai 2010

"Il est né à Saint-Armel 2 rue du gros chêne. Il est tout à fait comme les autres pendants ses années d'apprentissage mais devient un être cher au monde et pour celà doit faire un psychiatre !" C'est par cette phrase que débute la fiche wikipédia consacrée à Claude Debussy, authentique! c'est ahurissant, fautes d'orthographe, tournures bizarres, etc... Qui sont les rédacteurs de ces fiches? sans doute pas des gens à la hauteur, qu'on a envie de gronder, de punir, de claquer... J'ai d'ailleurs eu affaire à l'un de ces joyeux idiots au sujet de ma propre et modeste fiche, cherché à lui faire comprendre que je ne suis plus dessinateur de presse et qu'il faudrait employer le présent de l'indicatif pour signaler que je suis artiste peintre, rien voulu savoir ce con. Je suis allé voir Claude Debussy au cimetière de Passy. D'abord lui dire combien "La Plus Que Lente" me bouleverse quand je regarde le ciel de Paris certains soirs, puis lui murmurer des extraits de sa fiche wikipédia, l'entendre se taire, respirer l'air humide de ce printemps... 

 

Lundi 19 avril 2010

Sur la photo du milieu j'entends Claude Debussy plus distinctement que sur les autres, où interviennent aussi des sons parasites, des grondements, comme si l'on s'adressait à moi de loin sous l'écorce terrestre. Sur celle du milieu, non, seulement "La plus que lente", et Martine dit mmhmm la tête posée sur mon épaule. 

 

Mercredi 31 mars 2010

 

Je dois parfois puiser dans mes réserves pour travailler, bravo, je suis toujours fier de moi dans ces cas-là, oui fier, car personne n'oblige un peintre à quoique ce soit, il est seul face à l'immensité de sa liberté de ne rien foutre, combien succombent. 

 

Mardi 23 mars 2010

 

Pourquoi ces deux séquences, ces deux moitiés? Je n'ai pas de réponse satisfaisante, il va pourtant bien falloir que j'en trouve une et que je réponde à la question qu'on me posera inévitablement. Bien sûr, je peux toujours prétendre avoir voulu représenter Maurice Ravel partagé entre son désir de rester lui-même et celui de vivre à New York et de devenir riche comme Gershwin. Non, ça ne m'a même pas effleuré. Je pourrais en revanche faire état d'une idée d'éternité, ou plus exactement d'un présent infini, non... enfin si, mais le personnage a envie de siroter un whisky, il va devoir aller à la cuisine chercher des glaçons, un verre, il y a tout de même un peu de contingence, et pour peu que sur le chemin il croise sa mère (qu'il héberge depuis trois semaines), ça va encore se terminer en palabres, non... Donc, pourquoi ces deux séquences? Je ne sais pas, Monsieur (les gens tout de même). 

 

Mercredi 17 mars 2010

 

Un employé du palais de l'Elysée âgé d'une quarantaine d'années a tenté de se suicider en s'enfermant dans une gigantesque crêpe, se brûlant légèrement. Le secrétaire général de la présidence a raconté : "L'homme a d'abord confectionné une crêpe d'environ cinq mètres de diamètre puis menacé de s'enfermer dedans, et devant l'indifférence des témoins s'est alors assis au milieu de la crêpe avant de la flamber à l'armagnac et d'en rabattre sur lui les bords, il s'est brûlé les mains et les avant-bras, il a été maîtrisé par ses collègues sans que personne d'autre ne soit brûlé". Depuis le début de l'année dix employés de l'Elysée se sont ainsi donné la mort. Selon un conseiller spécial du président l'homme a été transporté par les pompiers aux urgences de l'hôpital Georges Pompidou. Il était en arrêt maladie depuis plusieurs jours. Courant janvier le secrétaire général était intervenu auprès du président pour défendre le salarié en conflit avec un collègue. "Nous avons mal géré cette crise interne, ce qui a fragilisé notre salarié", a expliqué le secrétaire général, qui ajoutait : "Si ce monsieur est revenu lundi à l'Elysée, c'était pour porter une prolongation de son arrêt de travail". "Il est sorti des urgences mais est toujours hospitalisé" a déclaré le président lui-même, en ajoutant qu'en accord avec la famille il ne souhaitait pas faire plus de commentaires sur cet incident. (Les gens tout de même.) 

 

Mardi 9 mars 2010

 

Le docteur K est inscrit sur Facebook et m'a fait une demande d'ajout à sa liste d'amis, bon, légère surprise j'avoue... Depuis trois jours j'ai donc sur Facebook, sur la minuscule fenêtre de chat, de longues conversations avec lui au cours desquelles il me dit découvrir quelque chose d'intéressant à mon sujet, sans m'en révéler la teneur exacte, m'expliquant simplement que ce qu'il observe à son cabinet face à moi est une chose, mais que, sur Facebook, ne plus entendre un lapsus, un mot sur lequel je trébuche, toute cette prosodie souterraine, cette ponctuation en contrepoint (enrouement, changement de timbre, voix étouffée ou non, croisement involontaire de jambes) en est une autre, bien différente, débarrassée du paraître, ou du "parlêtre" comme disait Lacan, nettoyée de beaucoup de théories à risque... Ces moments passés avec lui devant mon écran d'ordinateur me procurent un bien-être assez particulier, il est vrai, et je me doute qu'il doit en percevoir depuis chez lui certains effluves... je pense entre autres à un petit épisode de notre échange de la nuit dernière à la fin duquel, après avoir publié sur son mur une suite de mots tels que wagon ou réservoir, il a écrit une longue tirade sur le plaisir des mots, nous avons alors à tour de rôle écrit des litanies de mots sans rapport les uns avec les autres, jeu auquel nous avons pris un grand plaisir jusque tard dans la nuit, pour finir par des mots tels que suppositoire, manteau... 

 

Lundi 1er mars 2010

 

Aujourd'hui première vraie séance chez le docteur K. Il m'a installé devant son ordinateur et m'a demandé "de faire des trucs pendant une heure", j'ai donc imprimé environ quatre- vingt pages de sujets divers glanés sur internet (notamment à propos de Porsche), puis j'ai commandé mille deux cent soixante exemplaires d'une biographie de Henry Ford sur trente-sept sites différents, cherché des photos de scooter, de cacahuètes au sirop d'érable, et surtout acheté sur le site des Puces de Saint-Ouen tout un vieux fourbi ayant appartenu à Alain Prost, mais je me suis aperçu en recevant la commande dix minutes plus tard qu'il y avait là-dedans entre autres un clavecin et des kangourous empaillés. Le docteur K. m'a alors demandé ce que je comptais faire de cette thérapie, quoi lui répondre?... j'en attends beaucoup, d'abord introduire des voitures dans ma peinture, motoriser mes personnages, bon, il m'a giflé puis nous avons chanté "Route nationale 7" à deux voix et je me suis endormi. A mon réveil j'avais cette idée pour un tableau (variante d'une idée déjà notée) : un personnage sur un scooter tente d'enfourner des manteaux sous sa selle... 

 

Jeudi 25 février 2010

 

Hier après-midi, guignol au Luxembourg, un Gnafron très en forme, putain le con, tout en philosophant sur le cynisme des autorités chinoises il s'est enfilé au moins trois bouteilles de beaujolais, fraternisant avec le dalaï-lama et Barack Obama, la voix de plus en plus éraillée, proférant des insultes à l'adresse du président chinois, le gendarme arrivait bien sûr, tentait de le faire taire, bagarre... Pour finir, plusieurs spectateurs se levaient, insultaient le marionnettiste à travers le décor, d'autres le prenaient à partie, re-bagarre (les gens tout de même)... 

 

Mardi 16 février 2010 

Voilà maintenant trois semaines que j'ai cessé de voir le docteur B. Aujourd'hui, séance préliminaire chez le docteur K. Son cabinet est plus cossu, épaisseur de la moquette, double porte capitonnée de son bureau, pièce assez vaste dont la fenêtre ouvre sur une avenue bordée de jeunes tilleuls (VIIIème arrondissement). Des rayonnages de livres. Avant de m'asseoir devant lui j'ai choisi un livre au hasard et lu un passage au hasard : description d'un paysage scandinave. Sur la page de garde, au-dessus d'une date et d'une signature, quelqu'un avait écrit : "De moi". Le docteur K. s'est levé, a marché jusqu'à la fenêtre, s'est planté là, me tournant le dos, les bras croisés. Il portait un costume en velours jaune à motifs floraux, j'ai eu tout le temps de le détailler avant de me lever à mon tour, de m'approcher et de m'apercevoir qu'il ne s'agissait pas de motifs floraux, mais de chevaux. Ah ce sont des chevaux, dis-je, et je montrais le velours en direction de l'épaule. Nous avons parlé à voix basse (entre autres de vêtements, de ses vêtements à lui, il n'aime pas le rouge). Cet entretien préliminaire s'est achevé ainsi, il paraissait satisfait et je suis parti. Je me rappelle très bien l'équivalent de ce rendez-vous avec le docteur B., il y a maintenant deux ans : il n'avait pas dit un mot, j'avais dû alimenter un monologue pendant vingt minutes (dont la teneur m'échappe aujourd'hui), pour finalement l'entendre prononcer ce mot : Travaux. 

 

Dimanche 7 février 2010

 

Une heure passée vendredi après-midi avec Martine dans une salle du Louvre, nous nous sommes amusés elle et moi à changer l'annonce d'accueil de nos messageries de portables, ou plus exactement à enregistrer celle de l'autre, de sorte que sur la mienne on peut désormais entendre sa voix : "Denis est actuellement bloqué à la salle de bain, laissez un message, il vous rappellera dès qu'il sera débloqué". C'est fou ce que tout cela peut être amusant. Bon, j'ai pour ma part enregistré le même texte au féminin pour elle, après plusieurs essais de styles différents... Dans cette salle il fallait nous voir rire aux larmes pour ces conneries, mon dieu... et le résultat ne s'est pas fait attendre : un des collaborateurs de Martine tombant sur cette annonce a laissé un message inhabituellement froid, ce que Martine a aussitôt tenté de réparer, trop tard, l'autre était déjà sur répondeur, obligeant Martine a laisser à son tour un message, mais bon... Décision fut prise par elle d'enregister elle-même son annonce, et de remplacer "salle de bain" par "garage", à son avis moins sujet à interprétations (j'étais un petit peu de son avis).

bottom of page